“En France même, où s’est constituée une classe moyenne de paysans-propriétaires, le mécontentement a suscité un «socialisme agraire», exigeant la libération de la terre, qui a été l’un des facteurs essentiels du trouble des campagnes à l’époque de la révolution de 1848. C’est ce qui fera dire dans son «18 Brumaire de Napoléon Bonaparte» à Karl Marx, qui pourtant s’était jusqu’alors exprimé avec quelque mépris sur le compte des paysans, qu’après avoir été un instrument de la bourgeoisie dans sa lutte contre le féodalisme, la paysannerie, guidée par le prolétariat, devait jouer un rôle déterminant dans la marche vers la révolution. Cependant Marx et Engels, dans leur analyse du processus d’industrialisation des pays capitalistes, avaient insisté sur l’ambiguité de la condition paysanne (2): sans doute était-il possible d’envisager une alliance des petits paysans avec les ouvriers contre la bourgeoisie; mais de cette alliance ils étaient détournés par le caractère conservateur de leur genre de vie et de leurs aspiration sociales. Les troubles qui secouent la paysannerie au cours de XIXe siècle sont le plus souvent de caractère archaïque, marquant la difficulté que celle-ci éprouve à s’intégrer dans le système capitaliste: troubles qui marquent son attachement, au sein d’une économie de subsistance, aux anciens droits d’exploitation collective, aux communauté rurales traditionnelles. Certes, dans ces troubles, qui peuvent prendre une grande ampleur, s’exprime parfois un vif sentiment de classe; il n’en reste pas moins qu’ils vont contre la marche du temps. (…) Le problème du rôle révolutionnaire de la paysannerie se reposera à la fin du XIXe siècle, à propos de la Russie, où, dans un pays faiblement industrialisé, une agitation endémique est maintenue au sein d’une classe paysanne qui, après la réforme de 1861 qui l’a profondément déçue, aspire à une nouvelle distribution de la propriété, au «partage noir» des terres. Aux yeux de Lénine, le moujik n’était pas porteur d’une mission révolutionnaire innée, comme le pensaient Bakounine et les «Narodniki»; il ne pensait pas que la paysannerie pût être «la classe fondamentale de la révolution»; mais, contre Rosa Luxembourg et Trotsky, et malgré certaines fluctations de pensée, il estima après 1905, que devait se réaliser une «dictature révolutionnaire-démocratique du prolétariat et de la paysannerie», au sein de laquelle d’ailleurs, le prolétariat devait garder un rôle directeur. Ce stade achevé, il estimait que la majorité des paysans refuserait d’aller loin; mais alors le prolétariat s’allierait avec les paysans les plus pauvres contre ceux qui se seraient enrichis par le partage des terres. La lutte des classes opposant pauvres et riches à la campagne s’affirme avec une particulière acuité autour de la Révolution de 1917 et de la collectivisation des terres qui s’ensuivit en URSS; mais en Europe occidentale même – en Italie par exemple -, on sait le rôle que jouèrent les occupations de fermes par les paysans et les prolétaires agricoles vers 1920 dans l’inquiétude des classes dirigeantes qui recoururent finalement au fascisme. C’est cependant à propos de la révolution chinois que s’est posé le problème de la paysannerie, en tant que force révolutionnaire directrice (3). Dès la Deuxième Congrès de l’Internationale communiste (1920), Lénine envisageait d’adapter «non seulement les institutions soviétiques, mais aussi le parti communiste (sa composition, ses tâches particulières), au niveau des pays agricoles de l’Orient colonial»” (pag 79-80) [‘Reflexions sur les mouvements paysans et les revolutions au XXe siècle. En guise de conclusion (pag 78-82)] [(in) ‘Les mouvements paysans dans le mond contemporain. Volume I’, Librairie Droz, Genève, 1976, scritti di Albert Soboul e altri] [(2) E. Molnar, La politique d’alliance du Marxisme, 1848-1889′, Budapest, 1967; (3) H. Carrere d’Encausse et S. Schram, ‘Le Marxisme et l’Asie, 1853-1964’, Paris, 1965] [Lenin-Bibliographical-Materials] [LBM*]