“Marx et Engels avaient jeté dans le monde encore inattentif, la grande parole: «Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!». Quinze ans plus tard, Marx avait défini la politique étrangère de l’Internationale en ces termes, dont quelques-uns, empruntés au vocabulaire de «la langue bourgeoise», surprendront peut-être certains disciples simplistes: «Défendre les ‘lois de la morale et de la justice’, qui doivent gouverner les rapports les simples particuliers, comme lois souveraines des relations internationales». Cette honnête formule justicière, parant meurtrière pour les traditions d’iniquité de la vieille diplomatie, il la reproduisait en tête du premier manifeste contre le guerre de 1870, et elle cinglait en plein visage Napoléon III et Guillaume Ier, Bismarck et Emile Ollivier. Elle cinglait aussi tous les gouvernements européens, les classes dirigeantes devant l’homme du Deux Décembre, sauveur providentiel, prêtes à se prosterner devant son vainqueur dès qu’elles le verraient affublé de la même défroque. Cependant l’auteur du ‘Dix-huit Brumaire de Louis Napoléon n’était pas homme à s’attarder à la simple condamnation morale des faits que sa philosophie historique lui faisait un devoir d’expliquer. Et, d’autre part, il était trop mêlé à l’action, trop révolutionnaire, dans le vrai sens du mot, pour se borner à une analyse des phénomènes qui se déroulaient devant ses yeux. Enfin il était trop versé dans tous les arcanes de la politque internationale pour ne pas tenter au moins de repousser les plus redoutables conséquences du triomphe de la Prusse. Avant de rappeler l’admirable, l’héroïque exemple de solidarité internationale donné, après Sedan, par les maïtres et les chefs du socialisme allemand, je placerai ici un souvenir personnel. Le 4 septembre 1870, dans l’après-midi, je revenais avec mon excellent et vieil ami, Edouard Vaillant, du Corps législatif envahi sans grand effort. La République venait d’être proclamée à l’Hôtel-de-Ville où nous n’avions que faire, n’étant pas candidats aux fonctions publiques. Nous nous dirigions vers la place de la Corderie, dans l’intention d’y rédiger, avec quelques camarades de l’Internationale parisienne et des sociétés ouvrières, un appel immédiat aux socialistes de l’Allemagne. Ce n’est pas que nous nous fissions de bien fortes illusions, songeant que si la fortune des armes eût donné la victoire à l’armée de Napoleon III, aucune parole ni aucun acte révolutionnaire, aucune force humaine n’eût pu, en France, l’empêcher de poursuivre son oeuvre de conquête et de s’emparer de la rive gauche du Rhin. Mais n’importe: avec ou sans illusions il fallait au moins sauver du désastre l’idée du socialisme international et son avenir. Nous devisions ainsi quand nous nous trouvâmes rue des Halles en face d’un bureau du télégraphe. Aussitôt Vaillant se rappelle que, en 1865-66, proscrit de l’Empire (en attendant de l’être de la République bourgeoise), j’avais eu le grand honneur de connaître Marx à Londres, et d’être admis, sur sa présentation, dans le premier Conseil géneral de l’Internationale” [Charles Longuet, ‘Préface à ‘La Commune de Paris’ de Karl Marx’, Librairie G. Jacques & Cie, Paris, 1901]