“Comme beaucoup d’autres, vous voyez les sources du mal dans le principe “la fin justifie les moyens”. (…) Sont bons les moyens qui conduisent à l’accroissement de la domination de l’homme sur la nature et à la liquidation de la domination de l’homme par l’homme. Dans ce large sens historique, le moyen ne peut être justifié que par le but. Cela ne signifie-t-il pas, cependant, que le mensonge, la perfidie, la trahison soient admissibles et justifiés s’ils mènent “au but”. Tout dépend du caractère du but. Si le but est l’affranchissement de l’humanité, alors le mensonge, la fourberie et la trahison ne peuvent nullement être des moyens appropriès. (…) Vous vous référez à la parole de Lénine que le parti révolutionnaire a le “droit” de rendre ses adversaires méprisables et haïssables aux yeux des masses. Vous voyez dans ces mots une justification de principe de l’amoralisme. Vous oubliez, cependant, d’indiquer où, dans quel camp politique se trouvent les représentants de la haute morale? Mes observations me disent que toute lutte politique emploie largement les exagérations, les altérations, le mensonge et la calomnie. ‘Les plus calomniés sont toujours les révolutionnaires’: en leur temps, Marx, Engels et leurs amis; plus tard les bolcheviks, Karl Liebknecht, Rosa Luxemburg; à l’époque présente, les trotskystes. La haine des possédants devant la révolution, le conservatisme stupide du petit-bourgeois; la présomption et l’arrogance des intellectuels; les intérêts matériels des bureaucrates ouvriers – tous ces facteurs sé réunissent dans la persécution du marxisme révolutionnaire. En outre, messieurs les calomniateurs n’oublient pas de s’indigner de… l’amoralisme des marxistes. Cette indignation hypocrite n’est rien d’autre qu’un instrument de la lutte des classes. Dans les paroles que vous citez, Lénine veut seulement dire qu’il ne considère plus les mensheviks comme des militants prolétariens et qu’il se pose pour tâche de les rendre haïssables aux yeux des ouvriers. Lénine exprima cette idée avec la passion qui lui était propre et donna possibilité d’interprétations ambiguës et indignes. Mais, sur la base des oeuvres complètes de Lénine et des actions de toute sa vie, je déclare que ce lutteur implacable fut l’adversaire le plus loyal, car, malgré toutes ses exagérations et ses outrances, il s’efforça  toujours de dire aux masses ‘ce qui est’. Au contraire, la lutte des réformistes contre Lénine est complètement imprégnée d’hypocrisie, de mensonges, de subterfuges et de fourberies sous le couvert des vérités éternelles de la morale” [Interview de Trotsky publiée dans le ‘Bulletin de l’Opposition’, n° 56-57, ainsi que dans La Lutte ouvrière’, 10 septembre 1937, n° 55. Cf: ‘Trotsky-Lenine sur Kronstadt, Recueil d’articles présenté par Pierre Frank, Ed. de la Taupe, Paris, 1976, 78 p. (Cahier rouge, n° 7)] [(in) Victor Serge – Léon Trotsky, La lutte contre le stalinisme. Correspondance inédite, articles, 1977] [V.I. Lenin – Materiali Bibliografici] [LBM*]