“Personne ne fut comme Marx à la mesure du grand mouvement historique dont son nom devint l’emblème. Avant tout, il était un homme d’une force immense, doué d’un esprit extraordinaire. Il a expliqué lui-même avec limpidité que ce n’étaient pas les hèros qui font l’histoire. Sa base est l’ordre économique qui place les hommes dans des rapports donnés: les classes sociales. La lutte des classes est le moteur de l’histoire sociale. Les doctrines et les idéologies ne sont que des superstructures, et seule une explication du monde existe du point de vue de telle ou telle classe; ceux qui élaborent ces doctrines ne sont que les idéologues, des porte-parole des intérêts de classe. Les héros historiques ne sont que des chefs ou des organisateurs mis en avant par la lutte des classes; ils ne peuvent s’en séparer. Voilà ce que Marx souligna contre ceux qui croient que les héros font l’histoire à leur gré, entraînant “les foules” derrière eux. Mais pour lui – et pour nous aussi – il est clair que le rôle des idéologues et des organisateurs est strictement défini par leur milieu social. On peut mesurer la force de telle ou telle classe par son idéologie explicite et par la fermeté des ses liens organisationnels. Les deux sont en grande partie dus aux théoriciens et organisateurs de cette classe. Ils sont une des parties de la machine, la partie la plus importante et indispensable. Mieux cette partie est imbriquée, mieux la machine fonctionne. C’est pourquoi le fait que les trois quarts de l’idéologie de la classe ouvriere, ainsi que sa méthode d’organisation et de lutte, aient été construits par un homme tel que Marx, revêt une grande signification. Il avait une grande force d’esprit. Ce ne fut pas seulement le plus grand savant du XIXe siècle, il appartient à la cohorte des hommes dont on n’oublie pas le nom pendant de nombreux siècles et qui acquièrent, de ce fait, une existence éternelle. Ses livres possèdent le trait caractéristique des oeuvres de génie: en les relisant, chaque fois le lecteur découvre quelque chose de nouveau. La pensée qui y est empreinte est si profonde, reflète si complètement les processus réels qu’en la comprenant, vous semblez ouvrir de nouveau les yeux et en découvrir de nouveaux aspects. Ce trait de génie est complété par d’autres. L’érudition extraordinaire de Marx est bien connue: il connaissait toute la littérature économique et il “découvrit” beaucoup d’économistes du passé oubliés par Messieurs les professeurs. En somme, quant à la preparation de son travail intellectuel, Marx surpassa tous les savant bourgeois plongés, il est difficile de dénombrer combien de ‘langues étrangères’ connaissait Marx. Tout le monde sait qu’il parlait le russe et était au courant de la littérature économique de cette langue, qu’il voulait utiliser pour ses travaux. Il ne se replia jamais dans les limites seules de sa science: il avait de grandes connaissances en philosophie, en histoire, en langues, en droit, en sciences naturelles et surtout en mathématiques. D’où son horizon intellectuel extraordinairement large: tout la science était devant ses yeux. Il se ‘reposait’ en s’occupant de mathématiques ou en lisant les poètes classiques de toutes les époques. Marx avait non seulement un esprit génial, mais aussi un goût important pour l’art” [V. Obolenski [N. Ossinski], Un noble vieillard] [in ‘Kommunist. Revue hebdomadaire économique, politique et sociale. Les communistes de gauche contre le capitalisme d’Etat’, 2011]