“Friedrich Engels parlait dès 1845 de «la fraternisation des nations, telle qu’elle s’accomplit maintenant partout, grâce au parti extrême, le parti prolétarien, face au vieil égoïsme national originel at au cosmopolitisme hypocrite, à base d’égoïsme privé, du libre-échange». (…) Dans le ‘Manifeste communiste, Marx et Engels eux-mêmes ont montré que seul le pouvoir du prolétariat fait disparaître le séparatisme national et l’animosité des peuples; en renversant la dictature de la bourgeoisie et en construisant la société sans classes, le prolétariat met fin à la domination des nations fortes sur les nations faibles et édifie une union fraternelle des nations, Marx et Engels écrivaient: «Abolissez l’exploitation de l’homme par l’homme et vous abolirez l’exploitation d’une nation par une autre nation. Du jour où tombe l’antagonisme des classes, à l’intérieur de la nation, tombe également l’hostilité des nations entre elles» (1). Dans le discours qu’il prononçait en novembre 1847 au meeting de commémoration de l’insurrection polonaise de 1830, Marx formulait en ces termes le contraste entre le cosmopolitisme bourgeois et l’internationalism prolétarien: «L’union et la fraternisation des nations est une phrase que tous les partis ont aujourd’hui à la bouche, notamment les libre-échangistes. Il existe sans doute un certain genre de fraternisation enre les classes bourgeoises de toutes les nations. C’est la fraternisation des oppresseurs contre les opprimés, des exploiteurs contre les exploités. De même que la classe bourgeoise de tel ou tel pays est unie et fraternellement liée contre les prolétaires de ce pays malgré la concurrence et la lutte des membres de la bourgeoisie entre eux, de même les bourgeois de tous les pays sont liés fraternellement et unis contre les prolétaires de tous les pays, malgré leur bataille et concurrence mutuelle sur le marché mondial. Pour que les peuples puissent réellement s’unir, il faut qu’ils aient un intérêt commun. Mais, pour que leur intérêt puisse être commun, il faut l’abolition des rapports de propriété actuels qui déterminent l’exploitation mutuelle des peuples. L’abolition des rapports de propriété actuels n’intéresse que la classe laborieuse. Aussi bien en a-t-elle seule les moyens. La victoire du prolétariat sur la bourgeoisie est en même temps la victoire sur les conflits nationaux et industriels, qui dressent aujourd’hui les différents peuples en ennemis l’un contre l’autre. C’est pourquoi la victoire du prolétariat sur la bourgeoisie est en même temps le signal de la libération de toutes les nations opprimées». Marx et Engels ont accordé la plus vive attention à l’étude de toutes les formes et de tous les états du mouvement national. Ces fondateurs du communisme scientifique ont soutenu tous les mouvements nationaux qui contribuaient au développement de la lutte de classe du prolétariat. Marx a combattu les proudhoniens qui niaient la question nationale «au nom de la révolution sociale», ne voulaient plus d’«agglomérations immenses» et traitaient l’unité de la Pologne (ou de l’Italie, de la Hongrie, de l’Irlande) d’«épreuve faite», de chose appartenant toute entière au passé (2). En partant des intérêts de la lutte prolétarienne, Marx a mis au premier plan ce célèbre principe de l’internationalisme et du socialisme: un peuple qui en opprime d’autres ne saurait être libre. En réponse à la thèse proudhonienne représentant la nation comme un concept périmé, Marx a montré, dans une lettre à Engels datée du 20 juin 1866, ce qui se cachait derrière cette négation des nations. Dans ce texte, Marx rend compte de la séance tenue la veille par le Conseil de l’Internationale: “Les représentants (non ouvriers) de la ‘Jeune France’ déclarèrent que toute nationalité et les nations elle-mêmes sont des préjugés surannés… Décomposer tout en petits groupes ou communes, qui forment à leur tour une association, mais pas d’Etat. Et cette individualisation de l’humanité ainsi que le ‘mutualisme’ qui y correspond s’opéreront de la façon que voici: l’histoire s’arrêtra que les Français soient mûrs pour faire une révolution sociale. Alors, ils feront les premiers l’expérience et le reste du monde, entraîné par la force de leur exemple, fera la même chose… Notre ami Lafargue, …qui avait supprimé les nationalités …, semblait entendre par négation des nationalités leur absorption par la nation modèle, la nation française (3)». Dès 1847, Engels avait commenté en ces termes le discours prononcé par Louis Blanc au banquet de Dijon: «’Un Français’, dit M. Blanc, ‘est nécessairement cosmopolite’. Oui, dans un monde où ne régneraient que l’influence française, les moeurs, les us et coutumes, les idées et le conditions politiques françaises! Dans un monde où chaque nation aurait pris les qualités caractéristiques de la nationalité française! Mais, contre cela, les démocrates des autres nations sont justement obligé de protester… Il ne leur suffit nullement que les Français leur donnent l’assurance qu’en qualité de Français il ‘sont’ déjà cosmopolites. Une telle assurance aboutit à exiger que tous les autres ‘deviennent’ Français’ (4)». Du côté allemand, Marx et Engels ont vivement critqué les lassalliens, qui poussaient la sympathie pour le mouvement national jusqu’à la justification du nationalisme bourgeois. A juste titre, Marx a qualifié la tendance lassallienne de «socialisme monarcho-prussien». Marx et Engels ont livré une bataille résolue aux «socialistes vrais», qui considéraient les Allemands comme la nation élue. Marx s’est servi de l’exemple de ces pseudo-socialistes pour montrer que nationalisme et cosmopolitisme vont de pair: «…Nous avons vu quelle mentalité d’un nationalisme, étroit est à la base du pseudo-universalisme et du pseudo-cosmopolitisme des Allemands… Si l’étroitesse nationale est toujours antipathique, elle devient répugnante notamment en Allemagne, puisque ici on l’oppose, avec l’illusion d’être au dessus de la nationalité et de tous les intérêts réels, aux nationalistés qui avouent franchement leur étroitesse nationale et le fait qu’elles se fondent sur des intérêts réels (5). De telles indications de Marx et d’Engels ont une valeur de principe. Elles suffisent à faire la preuve que le marxisme n’an rien en commun avec le cosmopolitisme; elles démontrent, en deuxième lieu, que le cosmopolitisme et le nationalisme sont apparentés, que ce sont des phénomènes complémentaires. Comme dit Lénine, «la théorie de Marx est aussi éloignée de méconnaissance des mouvements nationaux que le ciel l’est de la terre… Une fois que sont apparus des mouvements nationaux de masse, les répudier, refuser de soutenir ce qu’ils ont de progressiste, c’est en fait céder aux préjugés ‘nationalistes’: c’est reconnaïtre «sa» nation come la «nation modèle» (16)” (pag 11-17) [(1) Cité d’après la traduction Fréville du ‘Manifeste’, “Les Briseurs de chaînes”, p. 296-297, Editions sociales, Paris, 1948; (2) Cf. Proudhon, ‘Justice, Quatrième étude, Petit catéchisme politique’, V.; (3) ‘Correspondance Marx-Engels, t. IX, p. 75-76, édition Costes, Paris, 1934; (4) Vingt ans plus tard, Louis Blanc demandera dans ‘Le Temps’ que, si la Prusse absorbe les petits Etats d’Allemagne, la France ait la rive gauche du Rhin. Et, tout en appelant les Berlinois à se soulever contre le gouverneme prussiens, Engels flétrira Louis Blanc du nom de «bon démocrate impérial» dans sa lettre à Marx du 1er mai 1866 (Correspondance Marx-Engels, t. IX, p. 54); (5) “L’Idéologie allemande”, dans K. Marx Oeuvres philosophiques, tome IX, p. 148-149, édit. Costes; (6) V.I. Lénine: «Du droit des nations à disposer d’elles-mêmes», dans ‘Oeuvres choisies, t. 1, p. 712-713, éditions en langues étrangères (textes français), Moscou, 1946. Lénine ajoute en note: «Comparéz encore la lettre de Marx à Engels du 3 juin 1867: «C’est avec une
véritable satisfaction que j’ai appris, par la correspondance parisienne du ‘Times’, les acclamantions polonophiles des Parisiens contre la Russie…M. Proudhon et sa petite clique de doctrinaires, ce n’est pas encore le peuple français» (Voir ‘Correspondance Marx-Engels, t. IX, p. 167]