“(…) Marx était loin de penser que les enquêtes sur la condition ouvrière dussent nécessairement être effectuées par les ouvriers eux-mêmes (35), il ne récusait aucunement la validité scientifique de certaines enquêtes gouvernementales. Il tenait même en très haute estime la statistique sociale anglaise. Dans la ‘première Préface’ du ‘Capital’, il écrivait: «Comparée à la statistique anglaise, la statistique sociale de l’Allemagne et du reste du continent européen est réellement misérable. Malgré tout, elle ‘soulève un coin du voile’, assez pour laisser entrevoir une tête de Méduse. ‘Nous serions effrayés de l’état de choses chez nous’ si nos gouvernements et nos parlements établissaient comme en Angleterre des commissions d’études périodiques sur la situation économique, (…) sur la santé publique, (…) sur l’exploitation des femmes et des enfants, sur les conditions de logement et de nourriture, etc,. Persée se couvrait d’un nuage pour poursuivre les monstres; nous, nous, pour pouvoir nier l’existence des monstruosités, nous nous plongeons tout entiers dans le nuage, jusqu’aux yeux et aux oreilles» (36). Remarquons, en passant, qu’au moment où l’AIT décidait d’entreprendre sa vaste enquête internationale sur la condition du travail, le Gouvernement de Sa Majesté se livrait à des investigations du même ordre par intermédiaire de ses missions diplomatiques à l’étranger, et que son exemple allait être suivi par le Gouvernement américain. Marx n’attachait certainement pas une grande importance ‘pratique’ à l’enquête ouvriere. Il dut comprendre très vite (s’il ne le fit pas d’emblée) que les services publies gouvernamentaux étaient infiniment mieux équipés pour mener pareille tâche à bien. Sans doute accordait-il une certaine portés ‘méthodologique’ et ‘symbolique’ à cette ‘enquête ouvrière «faite par les ouvriers eux-mêmes»’. Un rapprochement avec un passage de ‘Misère de la philosophie’ est ici permis: «A mesure que l’histoire marche et qu’avec elle la lutte du prolétariat se dessine plus nettement, il s (les théoriciens de la classe prolétaire) n’ont plus besoin de chercher la science dans leur esprit, ils n’ont qu’à se rendre compte de ce qui se passe devant leurs yeux et de s’en faire l’organe. Tant qu’ils cherchent la science et ne font que des systémes, tant qu’ils sont au début de la lutte, ils ne volent dans la misère que la misère, sans y voir le côté révolutionnaire, subversif, qui renversera la société ancienne. Dès ce moment, la science produite par le mouvement historique, et s’y associant en pleine connaissance de cause, a cessé d’être doctrinaire, elel est devenue révolutionnaire» (38). L’enquête ouvrière faite par les ouvriers eux-mêmes, pouvait donc avoir le grand mérite de mettre le doigt sur les plaies sociales, de faire examiner paer le prolétariat sa situation réelle de classe esploitée, et par cette analyse concrète, de dissiper les voiles de l”utopie’. L”Adresse inaugurale’ de l’AIT répond exactement à cette définition, et fait comprendre à quoi Marx, entendait faire servir l’enquête. Dans l”Adresse inaugurale’, Karl Marx, se fondant sur les statistiques officielles anglaises, et s’étendant longuement sur leurs données, dévoilait «ce fait capital que la misère des masses travailleuses n’avait point diminué de 1848 à 1864». Au terme d’une analyse fondée sur les chiffres officiels, il montrait que dans cette période de développement intense de l’industrie et du commerce, qui plongeait la haute bourgeoisie dans l’euphorie, la classe ouvriere s’était paupérisée et que, par conséquent, la seule issue à sa misère forcément croissance était dans la Révolution” (pag 62-63) [‘Ladislas Mysyrowicz, ‘Karl Marx, la Première Internationale et la statistique’, ‘Le Mouvement Social’, n. 69, 1969] [(35) Voir: Marx à Kugelmann, 30 nov. 1867; (36) K. Marx, ‘Oeuvres’, Pléïade, I, p. 549]
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- Articolo pubblicato:21 Settembre 2017