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“Marx fut-il pangermaniste? Il ne faut pas éluder la question, puisqu’aussi bien l’accusation lui a été jetée à la face dès 1871, et qu’elle fut par la suite complaisamment reprise et développée. Certes Marx écrivit bien le 20 juillet 1870 «Les Français ont besoin d’une raclée» (p. 20); mais que de conclusions hâtives n’ont-elles pas été assénées à partir de cette formule à l’emporte-pièce! Formule qui prend pourtant un sens nouveau à la lumière des précisions que l’on trouve le 28 juillet dans une lettre à Paul Lafargue: «Pour ma part, j’aimerais que les Prussiens et les Français s’infligent mutuellement et à tour de rôle une bonne correction et que les Allemands comme ce sera le cas, je suppose, ‘finissent’ par l’emporter. Je le souhaite parce que la défaite définitive de Bonaparte provoquera sans doute une révolution en France, tandis que la défaite finale de l’Allemagne ne ferait que prolonger l’état des choses actuel pour 20 ans encore» (p. 31-32). Force du visionnaire capable de raisonner à chaude, mais se condamnant par là-même à n’être pas toujours suivi ni compris. Et si Marx était exaspéré par ces «ânes bâtés» de Proudhoniens française, il fit tout ce qui était en son pouvoir pour venir en aide à la jeune république française: les documents de ce volume prouvent qu’il n’y eut pas de décalage entre ses propos privés et son action publique (cf. les lettres adressés à E.S. Beesly d’une part et au rédacteur du ‘Daily News’ d’autre part, (pp. 101, 136). Survenant peu aprés la capitulation face à la Prusse, la Commune eut un impact décisif sur la pensée théorique de Marx. Peut-on dès lors satisfaire de lire dans la préface que «les enseignements que Marx tire de la Commune sont suffisamment connus pour qu’il soit utile de les résumer ici» (p. XIV)? A mon sens non, ne serait-ce que parce qu’ils ont varié avec le temps. Le 12 avril, Marx écrivit à Kugelmann que les Parisiens étaient en train de “briser” l’appareil d’Etat bureaucratico-militaire (p. 183); quelques semaines plus tard, il précisait sa pensée dans le brouillon de l’Adresse que le Conseil général l’avait chargé de rédiger; (la Commune) «fut une révolution contre l’Etat (…); elle fut la résurrection de l’authentique vie sociale du peuple, réalisée par le peuple». On est ici – et donc à chaud – bien loin des commentaires presque désabusés que faisait Marx dix ans plus tard dans une lettre à F. Domela-Nieuwenhuis: «elle fut simplement une rébellion d’une ville dans des circonstances exceptionelles; la majorité de la Commune n’était nullement socialiste et ne pouvait pas l’être». Peut-être une mise au point, un bref rappel des questions soulevées par M. Rubel, J. Rougerie et Jean Bruhat (je pense par exemple au débat qui eut lieu à l’occasion du colloque de 1971 à la Sorbonne) eussent-ils été bienvenus pour souligner la nécessité d’une mise en perspective des premières réactions de Marx. Enfin, et ce n’est sans doute pas là le moindre intérêt de ce volume, on voit que dans les circonstances dramatiques de ces dix-huit mois, Marx et Engels ne furent pas, tant s’en faut, les monstres froids et indifférents, tout entiers voués à l’intrigue pour imposer leurs vues théoriques, que leurs adversaires ont si souvent dépeints. Certes, ils eurent recours à des manoeuvres diplomatiques de coulisse pour contrer l’influence grandissante de Bakounine et de ses amis (cf. p. 43), lesquels en firent de leur côté tout autant sinon plus; mais les documents publiés ici révèlent d’abord à quel point la famille Marx tout entire – et il en alla de même chez les Engels – s’enflamma pour les héroîques communards, puis souffrit dans sa chair de leur défaite, et combien chacun fit tout ce qui était en son pouvoir (collecte, recherche d’emplois, envois de passeports pour sauver les rescapés les plus menacés) pour soulager la misére des vaincus. Il va de soi que ces quelques remarques n’épuisent pas toute la richesse d’un volume dont il faut redire qu’il est capital à bien des égards: pour comprendre la réflexion théorique de Marx et Engels sur l’évolution historique du capitalisme et sur l’Etat, pour suivre l’histoire de l’AIT, et plus généralement pour comprendre les enjeux historiques d’une période-clef. Un seul souhait en guise de conclusion: que l’édition de la correspondance puisse se poursuivre dans la même voie” [Michel Cordillot, Karl Marx, Friedrich Engels: Correspondance, Tome XI (juillet 1870-décembre 1871), traduit sous la responsabilité de Gilbert Badia et Jean Mortier (Paris, Editions sociales, Messidor, 1985, p 494), Cahiers d’Histoire de l’Institut de recherches marxistes, Paris, n. 24, 1986 (pag 136-137)]