“Qu’est-ce qui distingue le parti communiste des partis ouvriers? Marx répond à cette question dans un passage décisif du ‘Manifeste’, qui sera repris, presque mot par mot, dans le programme de la IIIe Internationale: «Ils (les communistes) n’ont pas d’intérêts séparés de ceux du prolétariat tout entier. «Ils n’établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement prolétarien. «Les communistes ne se différencient des autres partis prolétariens que sur deux points: d’une part; dans les diverses luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts communs à tout le prolétariat et indépendants de la nationalité; et d’autre part, dans les diverses phases que traverse la lutte entre le prolétariat et la bourgeoisie, ils représentent constamment l’intérêt du mouvement total (1)». Il ressort clairement de ce texte que la distinction entre le parti communiste et le parti prolétarien n’est pas de tout de la même nature que celle qui oppose les sectes utopiques au mouvement ouvrier. C’est à de telles sectes que Marx se réfère quand il parle de modeler le mouvement prolétarien pas des «principes particuliers»; d’ailleurs, Engels, dans l’édition de 1888, remplace le mot «particuliers» par «sectaires» (2). Or, les communistes se situent, par rapport au mouvement de masses, précisément dans le pôle opposé des sectes: ils représentent, dans ce mouvement, non un principe ‘particulier’, mais ses buts les plus généraux et ‘universels’. La structure de ce passage du ‘Manifeste’ est la même que celle du texte de l”Introduction à la Critique de la philosophie du droit de Hegel’, où le prolétariat est défini comme n’étant pas une classe ‘particulière’ de la société bourgeoise, réclamant des droits particuliers, mais une sphère qui a un caractère ‘universel’ par sa souffrance, etc. Le parti communiste est donc le représentant des intérêts historiques du prolétariat international, i.e. de la ‘totalité’; face à chaque mouvement partiel, purement local ou national, idéologiquement confus, étroitement revendicatif, non conscient des buts finaux de la lutte de classes, il joue le rôle décisif de ‘médiateur de cette totalité’. Le parti communiste est l’avant-garde du mouvement ouvrier, la fraction du prolétariat consciente de sa mission historique. Mais il n’est pas une «minorité éclairée» chargée de réaliser cette mission à la place de masses prolétariennes: «Tous les mouvements, jusqu’ici, ont été accomplis par des minorités ou dans l’intérêt des minorités. ‘Le mouvement prolétarien est le mouvement autonome de l’immense majorité dans l’intérêt de l’immense majorité» (3) [ Michael Löwy, ‘La théorie de la révolution chez le jeune Marx’, Paris, 1987] [(1) ‘Manifeste communiste’, p. 81; (2) ‘Werke’, 4, p. 474; (3) ‘Manifeste communiste’, p. 78; souligné par nous]