“Lénine a longuement réfuté ce point de vue [sur la question nationale, ndr] dans une série d’articles écrits en 1914. Il reconnaît toutefois à Rosa Luxemburg et à ses amis «l’immense mérite historique d’avoir créé, pour la première fois en Pologne, un parti véritablement marxiste […] dans la Pologne imprégnée de passions nationalistes (1)». Il comprend que la nécessité de lutter contre le chauvinisme ait conduit les socialistes polonais à dépasser le but, à «forcer la note (2)». Il explique que «parmi les nations opprimées» – c’est le cas de la Pologne à cette époque – «le rassemblement du prolétariat en un parti indépendant entrâine parfois une lutte si acharnée contre le nationalisme de la nation intéressée que la perspective se trouve déformée et qu’on oublie le nationalisme de la nation qui opprime (3)». La première fois que Rosa Luxemburg est montée à la tribune d’un Congrès international, à Zurich en 1893, c’était précisément pour dénoncer le nationalisme du P.P.S. En janvier 1903, elle publie un long article à la mémoire du Parti socialiste polonais: “Proletariat”, dans le rangs duquel elle a fait ses premières armes. Elle cite cette phrase qu’elle fait manifestement sienne: “Patriotisme eet socialisme sont deux idées qui ne peuvent s’accorder en aucune façon” (4). Dans a brochure ‘La Crise de la social-démocratie’, elle affirme qu’au stade impérialiste “il n’existe plus de possibilitè aujourd’hui de guerre nationale de défense” (5). Ici encore, on peut se demander si la flèche n’a pas dépassé le but. Si elle n’a pas “forcé la note”. A qui en a-t-elle? A la social-démocratie allemande qui prétend justifier son attitude en août 1914 (le soutien apporté à l’impérialisme allemand) en invoquant “la patrie en danger”, “la nécessité de défendre l’Allemagne contre l’invasion cosaque”. C’est en voulant réfuter ce prétexte que Rosa Luxemburg en vient, généralisant abusivement (6), à nier la possibilité à notre époque de toute guerre nationale. Ces deux derniers exemples nous montrent jusqu’où la polémique peur entraîner Rosa Luxemburg. Or la quasi totalité de son oeuvre est polémique. Certes chez Marx, chez Lénine, la réfutation mordante du point de vue adverse (‘Misère la la philosophie’; ‘Sainte Famille’; ‘Idéologie allemande’; ‘Un pas en avant, deux pas arrière’) est un moyen fréquemment employé pour exposer son propre point de vue. Peut-être, chez Rosa Luxemburg, le goût de la polemique est-il plus fort encore. Elle a littéralement besoin d’un adversaire et une fois qu’elle l’a agrippé, elle ne la lâche plus. Mais il arrive précisément que cette ardeur combative l’entraîne à “tirer la verité par les cheveux”, ou à interpréter les faits, qu’elle “tend trop l’arc” et dépasse le but. Il lui arrive de “forcer la note”. Donnons-en encore un exemple. L’Internationale avait, sur la question du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, adopté à Londres en 1896 une résolution qui prête difficilement à équivoque. “Le Congrès déclare qu’il se prononce pour le droit absolu de libre détermination pour toutes les nations et qu’il adresse sa sympathie aux travailleurs de tous les pays qui souffrent actuellement sous le joug d’un despotisme militaire national ou autre”. Opposée au mot d’ordre d’autodétermination des peuples, qu’elle considérait comme un slogan bourgeois, Rosa Luxemburg affirma que l’essentiel de la résolution était sa seconde partie, où le Congrès appelait les ouvriers du monde entier à s’organiser et à lutter «pour la disparition du capitalisme international et la réalisation des objectifs de la social-démocratie internationale (6)», …et qu’on ne devait pas attacher trop d’importance aux premières phrases de cette résolution” [Gilbert Badia, ‘Avant-propos] [(in) Rosa Luxemburg, ‘Textes’, Paris, 1969] [(1) Lénine, Oeuvres, t. 20, p.454, (2) Ibidem, p. 454, (3) Ibidem, p. 477; (4) P.S., III, p. 29; (5) A.R.S. I., p. 367; (6) Voir la réfutation de Lénine. «A propos de Junius», Oeuvres  , t. 22, pp. 328 et suivantes. «Des guerres nationales sont (…) ‘inévitables’ à l’époque de l’impérialisme de la part des colonies et des semi-colonies» (p.333). «En cas d’affaiblissement sérieux des “grandes” puissances au cours de cette guerre ou si la révolution triomphait en Russie, des guerres nationales, même victorieuses, sont parfaitement possibles», p. 335. Est-il besoin de souligner que le cours de l’histoire a vérifié ces thèses?; (7) Procès verbal du Congrès international de Londres (édition allemande), Berlin, 1897, p. 18] [Lenin-Bibliographical-Materials] [LBM*]