“Le second problème est inhérent à la monnaie et au système de crédit. Un point que Marx évoque sans le développer est la possibilité permamente des crises financières et monétaires “indépendantes” (chap. III). Le problème sous-jacent touche aux contradictions internes à la forme-argent elle-même (la valeur d’usage comme représentation de la valeur, le particulier [concret] comme représentation de l’universel [abstrait], et l’appropriation privée du pouvoir social – voir le chapitre 2) [La monnaie]. Dans sa critique de la loi de Say, Marx indique que la tentation est constante de s’accrocher à son argent, et que plus de gens le font, plus ils mettent en péril la continuité de la circulation. Mais pourquoi s’accroche-t-on à l’argent? L’argent est d’abord une forme de pouvoir social. Il permet de s’offrir la conscience et l’honneur! Dans les ‘Manuscrits de 1844’, Marx nous dit: si “je suis laid (…) je peux m’acheter ‘la plus belle femme'” (1); si je suis stupide, je peux acheter la présence de personnes intelligentes; et ainsi de suite. Imaginez tout ce que l’on peut faire avec un tel pouvoir social! On comprend donc pourquoi les gens s’accrochent à leur argent, surtout en des temps incertains. Sa remise en circulation suppose un acte de foi, ou l’existence d’institutions sûres et dignes de confiance dans lesquelles on peut placer son argent pour qu’il en rapporte davantage (c’est bien sûr ce que les banques sont supposées faire). Ce problème possède de profondes ramifications. La perte de confiance dans les symboles monétaires (la capacité de l’Etat à garantir leur stabilité) ou dans la qualité de la monnaie possède un effet quantitatif direct (pensons à la “famine monétaire” et au gel des moyens de paiement qui ont marqué l’automne 2008). “Il y a peu, le bourgeois (…) déclarait encore, ivre de cette volonté présemptueuse d’éclairer autrui que vous donne la prospérité, que l’argent n’était qu’une illusion vide de sens. Seule la marchandise est argent. Seul l’argent est marchandise! Voilà ce qu’on entend maintenant sur le marché mondial. Son âme crie après l’argent, la seule richesse, comme le cerf brâme après l’eau fraîche. Dans la crise, l’opposition entre la marchandise et sa figure absolue, la monnaie, s’exacerbe jusqu’à la contradiction absolue” (2). Peut-on imaginer meilleure description de la soudaine crise de 2008?” [David Harvey, ‘Pour lire Le Capital’, Paris, 2012] [(1) Karl Marx, ‘Manuscrits de 1844’, Paris, Editions sociales, troisième manuscrit; (2) K. Marx, ‘Le Capital. Critique de l’économie politique, livre premier: le procès de production du capital’, trad. dirigée par J.P. Lefebvre, Paris, Puf, 1993]
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- Articolo pubblicato:25 Novembre 2015