“Le 4 avril – le lendemain de son arrivés – Lénine présente aux militants ses ‘Thèses sur les objectifs du prolétariat dans la révolution actuelle’. Songez que les ministres bourgeois du gouvernement provisoire discourent sur la guerre jusqu’au bout; que M. Milioukov rêve des Dardanelles; que les socialistes-révolutionnaires se voient déja à la tête d’une république radicale tout aussi “avancée” que la IIIe République Française en ses bons jours; et que personne, personne, ne voit clair dans la tourmente grandissante. Personne: sauf, évidemment, cet agitateur inconnu hier des milieux politiques russes, suivi d’un petit parti “de fanatiques”, “scissionnistes professionnels”, comme le qualifient avec dédain les socialistes raisonnables, – personne, sauf ce nouveau venu. – Trapu, large d’épaules, grand front dénudé, regard malicieux, des yeux bleu-verts, pommettes larges d’Asiatique, menton achevé par una large et courte pointe de barbe roussâtre. Pas d’éloquence. Des gestes simples qui empoignent et convainquent. Un parler familier, sans images, sans effets, sans périodes marquées, sans invites à l’applaudissement. On dirait d’un robuste paysan provincial, malin comme quatre – et bonhomme avec cela – démontrant l’excellence d’une affaire qui s’impose. Il descend d’un train qui vient de traverser l’Europe. Et il expose aux ouvriers bolchéviks de Pétrograd, qui ont fait la révolution de mars, la situation qu’il connaît mieux qu’eux, les fins que, seul, il discerne… La guerre est imperialiste, comme elle l’était sous Nicolas II; il ne pourrait être question d’une guerre de défense révolutionnaire que s’il y avait un pouvoir ouvrier; la paix démocratique est impossible sans renversement du capitalisme. “Le trait caractéristique du moment actuel réside dans le passage de la première étape de la révolution – qui a donné le pouvoir à la bourgeoisie en raison du développement insuffisant de la conscience et des organisation prolétariennes, – à la deuxième étape, qui doit donner le pouvoir au prolétariat et aux paysans pauvres”. Mais “le parti bolchévik est en faible minorité dans les Soviets”. Qu’il se confine donc dans la propagande et l’agitation. Il vaincra parce qu’il a raison. C’est un parti clairvoyant parmi des partis et des foules aveugles. Il faudra bien qu’on le suivre! Les Soviets constituent la seule forme révolutionnaire du pouvoir. “Pas de république parlementaire. Y revenir quand nous avons des Soviets, ce serait faire un pas en arrière”. Le programme pratique: confiscation de tous les domaines; nationalisation des terres par les Soviets paysans locaux; fusion des banques en une seule banque nationale placée sous le contrôle des Soviets. (…)” [Victor Serge, ‘Lenine 1917. La Pensée et l’Action de Lenine depuis son depart de Suisse jusqu’à la prise du Pouvoir’, Paris, 1924] [Lenin-Bibliographical-Materials]  [LBM*]