“Reportons-nous, une fois encore, aux textes de Marx. Implicitement, nous y trouvons la distinction que nous venons de faire entre analyse théorique et description concrète. En effet, si nous ouvrons ses ouvrages historiques: ‘Le dix-huit brumaire’; ‘La Révolution de 1848 en Allemagne’ nous y notons des énumérations variées et non systématiques de classes, ici Marx oppose le capitalisme financier au capitalisme industriel, là il s’étend longuement sur les petits commerçants ou sur les petits fermiers. En d’autres termes, il considère les groupes sociaux tels qu’ils lui paraissent se séparer en fait, dans une société particulière, en fonction des communautés ou contradictions d’intérêts. En revanche, dans ‘Le capital’, l’intention de Marx manifestement était de procéder à une détermination rigoureuse des classes ou, si l’on veut, à une théorie de la structure sociale du système. Il n’a pas été jusqu’au bout de la tentative. Il n’est pas impossible cependant de retrouver le mouvement général de l’argumentation et d’en apprécier le bien-fondé. (…) Marx n’aurait-il donc pas pu rattacher les formules agressives mais vagues du ‘Manifeste’ à l’analyse du ‘Capital’? Je pense, au contraire, que cette synthèse était possible. La détermination des classes ne se confond pas avec celle des types de revenus, de même que la lutte des classes n’est pas ‘essentiellement’ économique. Mais il n’en reste pas moins que l’attitude des groupes dans les conflits économiques se rattache étroitement à la place qu’ils occupent dans le procès de production. Tout d’abord chaque groupe, sinon chaque classe, a tendance à utiliser l’influence dont il dispose pour amélierer sa situation économique; il demande à l’Etat de modifier les conditions de la concurrence dès que celles-ci se modifient à son détriment, drotis de douane, contingents, subventions et primes diverses d’une part, interdictions d’entreprises nouvelles, monopole réservé de l’autre, salaire minimum, limitation des immigrations enfin, correspondent également à une intervention de la politique, c’est-à-dire d’une force et d’une volonté collective dans les relations qui, selon la théorie économique, devraient être soumises à la loi de la rivalité libre et de l’échange. En second lieu, fait également indiscutable, le désir de transformer l’ordre social actuel se retrouve avant tout dans les groupes prolétariens, cependant que les groupes bourgeois sont en général, à cet égard, conservateurs. La lutte des classes serait ainsi une donnée positive en un double sens: mais, qu’elle agisse sur la vie économique ou ait pour enjeu la destinée du système lui-même, à l’intérieur de l’ordre capitaliste, pour ou contre cet ordre, elle est ‘essentiellement politique'” [Raymond Aron, Le concept de classe (1939)] [(in) Raymond Aron, a cura di Serge Paugam, Les sociétés modernes, 2006]
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- Articolo pubblicato:19 Settembre 2014