“Le conflit qui opposait Lénine à Chliapnikov n’était pas sans fondement. Lénine avait écrit que le Parti qu’il forgeait était le porteur de la conscience de classe, l’avant-garde du prolétairat; et qu’il était par là même chargé de conduire celui-ci vers la révolution. Et il en avait été ainsi. Mais Lénine n’avait jamais défendu ouvertement l’idée que la révolution étant accomplie, le pouvoir reviendrait au Parti et à lui seul. Or depuis octobre 1917, le Parti n’avait cessé d’étendre son pouvoir et les bolcheviks s’en accommodaient fort bien. Kollontaï observa d’abord le débat, restant silencieuse, puis elle déclara qu’elle soutenait l’Opposition ouvrière le 28 janvier 1921 dans un article publié ce jour-là dans la ‘Pravda’. Elle y accusait le Parti de trahir le prolétariat. Pour Chliapnikov et pour l’Opposition ouvrière, l’entrée en scène à leurs côtés de Kollontaï était une chance considérable. Ses dons oratoires exceptionnels – auxquels même Chliapnikov ne pouvait faire concurrence – allaient les servir dans les débats. À son article, elle avait ajouté ajouté une remarquable contribution écrite: ‘LOpposition ouvrière’, un texte de cinquante pages imprimées qui fut diffusé à la veille du Congrès. Alexandra Kollontaï y décrivait l’opposition en ces termes: «Elle groupe la partie avancée des prolétaires organisés, des professionalistes, des ouvriers, la pointe d’avant-garde, la tête du prolétariat russe qui a supporté tout le fardeau de la lutte révolutionnaire et qui, au lieu de se disperser à travers les administrations d’État en perdant sa liaison avec les masses ouvrières, est restée liée avec ces masses (…) organisées en syndicats». Ayant ainsi posé le termes du conflit existant entre la majorité du Parti et l’Opposition ouvrière, Kollontaïn s’arrêta longuement sur le rôle des syndicats, attaquant sans ménagement les justifications de Lénine, les qualifiant d’«instrument pour l’éducation des masses alors que leur affaire est la direction de l’économie nationale»” (pag 164-165); “Lénine répondit à l’Opposition ouvrière et à ses critiques du Parti sans aucun ménagement. Il dénonça un «factionnalisme» d’autant plus inaccettable que «l’État revolutionnaire» se trouvait en grand danger. Et il mit sur le même plan «le péril anarchiste», représenté par la rébellion de Kronstadt, et les syndacalisme de l’Opposition ouvrière. L’Opposition ouvrière, continua Lénine, avait su séduire de bons communistes avec des mauvais arguments, mais le Parti était prêt à oublier leurs errements momentanés et à leur ouvrir ses rangs. Évoquant Chliapnikov et Kollontaï, il se montra méprisant, violent à l’égard des responsables de ces errements, ironisant sur la complicité qui les unissait. Cette allusion à leurs anciens liens amoureux, à la vie privée de Kollontaï tout particulièrement, la blessa profondément. Elle y vit une manifestation du sentiment traditionnel de supériorité masculine contre lequel elle s’était toujours battue, et dont son oeuvre témoignait. Mais en accusant Kollontaï et Chliapnikov d’anarchisme, Lénine rattachait leur position à la rébellion de Kronstadt, à un factionnalisme contre lequel le Congrès allait sévir. Les résolutions prises à la fin du Congrès montrèrent que Lénine voulait briser l’Opposition ouvrière sans lui faire la moindre concession. La résolution votée par le Congrès le 16 mars sur «le déviations syndicalistes dans pe Parti» défìnisssait le mouvement comme une manifestation de l’esprit petit-bourgeois porté par les mencheviks et les paysans dans le Parti” (pag 168-169) [Hélène Carrere d’Encausse, Alexandra Kollontaï. La Walkyrie de la Révolution, Fayard, Paris, 2021] [Lenin-Bibliographical-Materials] [LBM*]