“Lenine, comme la plupart des autres dirigeants bolcheviques, avait une fois inébranlable en la toute-puissance du nouvel Etat de la «dictature du prolétariat», capable de bousculer le développement des forces productives, de procéder à une véritable ingénierie sociale, de sortir la Russie de la contingence historique. «Il nous faut, écrit Lénine en mai 1918, nous mettre à l’école du capitalisme d’Etat allemand, l’assimiler de toutes nos forces, ne pas hésiter devant des méthodes dictatoriales pour accélérer, encore plus que ne l’avait fait Pierre 1er, l’assimilation de l’occidentalisme par la Russie barbare, ne pas hésiter à employer des méthodes barbares pour lutter contre la barbarie» (1). La «barbarie» dont il est ici question, c’est avant tout la «barbarie» paysanne «l’asiatisme»des masses rurales, qui, aux yeux des bolcheviks, légitimait à l’égard de celles-ci l’usage de la plus grande violence. La «bataille pour les céréales» qu’engagent les dirigeants bolcheviques en mai 1918, lorsqu’ils confèrent les pleins pouvoirs au Commissariat du peuple au Ravitaillement, véritable Etat dans l’Etat, représente certes une réponse politique spécifique è une situation particulière: la crise des échanges villes campagnes (bien antérieure à la prise du pouvoir par les bolcheviks) qui se traduit, au printemps 1918, par d’immenses difficultés de ravitaillement dans les villes, bastions du nouveau pouvoir. Mais cette «bataille pour les céréales» n’est pas seulement économique.  Les bolcheviks sont décidés, par la «dictature du ravitaillemen», à réimposer le «principe de l’Etat» aux «petits propriétaires qui ont horreur de l’organisation, de la discipline» (2). «Les temps est venu pour nous, explique Lénine le 29 avril 1918, de mener une lutte impitoyable, sans merci, contre ces petits propriétaires, ces petits possédants» (3). Comme le montrent clairement les premiers rapports opérationnels de la Tcheka (juillet août 1918), les réquisitions menées sans ménagement par les détachements de «l’armée du ravitaillement» (4), et la conscription dans l’Armée rouge (5) constituent, dans les zones contrôlées alors par les bolcheviks, les détonateurs principaux des premiers affrontemens entre le nouveau régime et de larges fractions de la paysannerie. Sur ces affrontements, qui culminent en 1920-1921 pour se transformer, après la défaite des armées blanches et l’écroulement de toute perspective de restauration de l’ancien régfime, en véritables guerres paysannes embrasant des provinces entières, n’existait, jusqu’au début des années 1990, qu’un nombre limité d’études consacrées, pour l’essentiel, à quelques épisodes emblématiques, tels que le mouvement paysan ukrainien d’inspiration anarchiste, dirigé par Makhno ou la grande révolte de la province de Tambov, dirigée par le socialiste-révolutionnaire Antonov (1). Les rapports de la Tcheka donnent un tableau beaucoup  plus complet: ils permettent d’abord d’affiner la chronologie et de préciser les aires d’extension des insurrections paysanne antibolcheviques; d’esquisser une typologie des formes de résistance, depuis le émeutes villageoises localisées et de courte durée jusqu’aux grandes guerres paysannes, en passant par les différentes formes endémiques de guerilla et de banditisme” (pag 37-39) [Alexis Berelowitch Nicolas Werth, ‘L’état soviétique contre les paysans. Rapports secrets de la police politique (Tcheka, GPU, NKVD) 1918-1939’; [(1) Valdimir I. Lénine, Polnoie Sobranie Socinenii (Oeuvres Complàtes), Moscou, IML, 1965, vol. XXXVI, p. 301; (2) Ibid, vol. XXXVI, p. 265; (3) Ibid.(…)] [Lenin-Bibliographical-Materials] [LBM*]