“C’est la première fois dans l’histoire qu’une classe révolutionnnaire se trouve dans une telle situation ‘objective’ qu’elle ne peut se libérer qu’en parvenant à une expression ‘scientifique universelle’ de ses intérêt vitaux. C’est un point que Marx avait mis en évidence dès 1847 lorsqu’il écrivait dans ‘Misère de la Philosophie’: «De même que les économistes sont les représentants scientifiques de la classe bourgeoise, de même les socialistes et les communistes sont les représentants de la classe prolétaire. Tant que le prolétariat n’est pas encore assez développé pour se constituer en classe, que par conséquent la lutte même du prolétairat avec la bourgeoisie n’a pas encore un caractère politique, et que le forces productives ne se sont pas encore assez développés dans le sein de la bourgeoisie elle-même, pour laisser entrevoir les conditions matérielles nécessaires à l’affranchissement du prolétariat et à la formation d’une societé nouvelle, les théoriciens ne sont que des utopistes qui, pour obvier aux besoins des classes opprimées, improvisent des systèmes et courent après une science régéneratrice. Mais à mesure que l’histoire marche et qu’avec elle la lutte du prolétariat se dessine plus nettement, ils n’ont plus besoin de chercher de la science dans leur esprit, ils n’ont qu’à se rendre compte de ce qui se passe devant leurs yeux et de s’en faire l’organe. Tant qu’ils cherchent la science et ne font que des systèmes, tant qu’ils sont au début de la lutte, ils ne voient dans la misère que la misère, sans y voir le côte révolutionnaire, subversif, qui renversera la société ancienne. Dès ce moment, la science produite par le mouvement historique et s’y associant en pleine connaissance de cause, a cessé d’être doctrinaire, elle est devenue révolutionnaire» (1). Plus tard, Lénine, dans ‘Ce que sont les amis du peuple’, dans ‘Que faire?’, devait développer ces mêmes conceptions fondamentales: considérer l’histoire des sociétés comme un processus d’histoire naturelle, déterminer les lois objectives de ce processus, apporter cette science au prolétariat pour qu’il s’en empare, l’assimile et se libère en transformant la société, telle est la tâche théorique et révolutionnaire des communistes, dans laquelle s’accomplit la fusion du socialisme scientifique et du mouvement ouvrier. Si cette tâche a été possible, c’est, bien entendu, parce que la conception matérialiste dialectique du monde s’était affirmée comme le produit le plus élevé du processus historique de la connaissance. Mais ci cette tâche a été nécessaire, ce fut, ainsi que le dit Marx dès 1847, parce que, au sein de la société bourgeoise, se développait le prolétariat et qu’il luttait en prenant conscience de lui-même comme d’une classe dont les intérêts étaient antagonistes de ceux de la bourgeoisie. Pour que le prolétariat puisse se libérer, il ne lui suffisait pas de se révolter. Il ne lui suffisait pas de mener, d’une manière sporadique, la lutte économique contre l’exploitation capitaliste. Il lui fallait entreprendre et mener jusqu’au bout, contre la bourgeoisie, la lutte politique en vue de la transformation de la société bourgeoise en société socialiste. Ce n’était point là une exigence posée arbitrairement, ni une simple construction due à quelques réformateurs du monde. Mais une exigence obiective rendue nécessaire par le degré de développement déjà atteint par les forces productives au sein du capitalisme. (…) Il faut que la classe ouvrière soit en mesure de démasquer la réalité dans son essence, de critiquer les mensonges de la classe dominante, et d’arriver par là à penser ‘objectivemet’ ses propres intérêts en déchirant les voiles par lesquels la classe dominante les lui cache. Pour cette raison, la science des sociétés lui est nécessaire. Elle est l’instrument spécifique de sa libération. Il lui est nécessaire de connaître le mécanisme exact de l’exploitation capitaliste et, par là, la structure et les lois de développement de la société bourgeoisie. Cette science, ainsi que l’a précisé Lénine dans ‘Que faire?’, et ainsi que l’avait dit Marx dans ‘Misère de la Philosophie’, le prolétariat ne pouvait la recevoir que «de l’extérieur». Il ne pouvait l’engendrer spontanément. Car spontanément, il vivait sous la pression idéologique de la classe dominante; spontanément, il vivait privé par la bourgeoisie des moyens les plus élémentaires de culture, et ne pouvait aller audelà de la revendication économique immédiate. Seuls les hommes qui, comme Marx et Engels, avaient dominé les sciences de leur temps, assimilé et porté en avant tout l’héritage de la culture passée, pouvaient comprendre la nature de la société de leur époque et concevoir les principes de la science dont l’assimilation devait permettre la libération des prolétaires. Seuls ils furent, en ce temps, à la hauteur suffisante pour penser et forger les instruments théoriques capables de permettre la réalisation des tâches historiques qui incombaient objectivement à la classe ouvrière” (pag 72-75) [Jean-Toussaint Desanti, ‘Introduction à l’histoire de la philosophie’, Paris, 2006, a cura di Jacques Deschamps e David Wittmann] [(1) ‘Misère de la philosophie’, Giard, p. 147-148. Souligné par nous]
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- Articolo pubblicato:5 Febbraio 2018