“Miklos Molnar. Trois points me viennent à l’esprit à propos de cette question. Premièrement, en ce qui concerne le fédéralisme: peut-on le considérer comme une tradition incontestée du mouvement ouvrier socialiste? Non, absolument pas. Il faut quand même rappeler la méfiance, l’hostilité même, de Marx et d’Engels vis-à-vis du fédéralisme. La «république une et indivisible», c’était bien le slogan des communistes, tout au long du XIX siècle, face aux fédéralismes proudhonien, bakouninien, anarchiste, pour des raisons qui sont en dehors de notre sujet. Ce que les marxistes, à l’époque, craignaient, c’est que le fédéralisme suscite ou ressuscite cette idée d’organisation sociale à la Proudhon, à savoir cette fédération des communes, des provinces, des Etats, cette république universelle fédéraliste mondiale qui était tout à fait contraire aux conceptions de Marx. Donc, il faut avoir à l’esprit que le fédéralisme n’est nullement une tradition incontestée dans le mouvement ouvrier. Cela dit, cette idée a quand même prévalu dans la social-démocratie, entre les deux guerres: de grands partis et de forts courants cherchaient à résoudre la dichotomie du social et du national, précisément par l’issue du fédéralisme. Seulement, là, l’unanimité était loin d’être faite: d’abord, pour des raisons bien évidentes, la social-démocratie autrichienne était le porte-parole du fédéralisme. Mais vous connaissez très bien l’histoire de ce parti social-démocrate et de l’éclatement successif du ‘Gesamtpartei’, du parti autrichien «ensemble», par la dissidence des Tchèques et d’autres groupes. Donc, avant la guerre, pas d’unanimité; parce que l’esprit d’indépendance nationale prévalait de plus en plus, même au sein des partis sociaux-démocrates sur l’esprit de fédéralisme et contre ce que Renner – vous avez cité Renner tout à l’heure, – proposait comme solution à l’intérieur, à savoir l’autonomie culturelle. Maintentant, venons-en à la troisième étape de cette évolution de 1910 à 1919. Je ne suis pas convaincu que l’expérience de la République des conseils de Hongrie soit une expérience concluante. Non seulement parce qu’elle était trop courte (en cinq mois rien ne pouvait se faire), mais aussi parce que ce n’était pas un véritable fédéralisme. C’était un camouflage, finalement, d’un objet politique territorial, dont je ne conteste nullement la légitimité, du point de vue national, parce qu’il s’agissait cette fois-ci, du côté hongrois, de se battre pour l’autodétermination des Hongrois. (…)” [Problèmes d’ordre idéologique. Discussion, T. Hentsch, M. Molnar, P. Broué, Y. Brossard, A. Donneur etc.] [(in) ‘Situations révolutionnaires en Europe, 1917-1922: Allemagne, Italie, Autriche-Hongrie – Revolutionary situations in Europe, 1917-1922: Germany, Italy, Austria-Hungary’, a cura di Charles L. Bertrand, Montréal, Quebec, 1977]