“Les variations intermittentes de l’emploi. On peut appeler ainsi les embauches massives, suivies très rapidement de licenciements tout aussi massifs, que l’on a pu observer de tout temps dans l’économie spontanéiste. Cette manière de faire retient autour d’une certaine possibilité d’emploi un nombre d’ouvriers beaucoup plus considérable que celui qui suffirait à couvrir les besoins de l’employeur. Karl Marx l’avait déjà remarqué au milieu du XIXme siècle et ce fait, généralisé et porté à l’absolu, lui a fourni la base de sa célèbre théorie de «l’armée industrielle de réserve» (1). Les conséquences déplorables de ce mode d’embauche pratiqué dans le port de Londres, ont attiré l’attention de W.H. Beveridge, au début du XXme siècle et l’étude qu’il a faite de l’emploi dit «casuel» (2) a fortement influencé sa conception générale de la lutte contre le chômage. Dans son ouvrage «Unemployment a problem of industry» (3), Beveridge a décrit comment le fait d’avoir été embauché un jour retenait les hommes à proximité des docks et nourrissait leur espoir d’avoir une nouvelle chance à cette quotidienne loterie du travail. Le nombre de ceux qui faisaient ces calculs était infiniment supérieur à celuis des offres d’emploi de la part des employeurs. La grande idée de Beveridge, à la suite de son étude se résume en un mot: mobilité. Il faut organiser la mobilité régionale et professionnelle des ouvriers, au moyen d’un réseau d’offices de placement, afin d’éviter que la main d’oeuvre, en surplus, ne s’amasse dans un endroit, alors qu’ailleurs existent pour elle des possibilités d’emploi. En 1925, un auteur américain, H. Feldmann, a montré dans un ouvrage intitulé «The regularization of employment» (4), que les industriels de son pays ont l’habitude d’augmenter ou de diminuer, d’une semaine à l’autre, leurs effectifs de travailleurs, suivant l’état de leur carnet de commandes. Il estime que ce mode de procéder nuit gravement aux ouvriers et aux employeurs. D’une part, il affirme que l’ouvrier sans travail a une mobilité limitée (5), il ne trouve pas immédiatement une place ni dans une autre entreprise de la même branche, ni dans une entreprise différente, ni dans une autre localité. D’autre part, Feldmann estime que la qualité du travail fourni par des ouvriers sovent engagés et licenciés est inférieure à celle d’ouvriers employés d’une façon continue. Donc l’intérêt, le désir de produire rationnellement devrait inciter les industriels à abandonner leurs pratique d’embauche intermittente et à conserver leur main-d’oeuvre. Mais pour l’employer d’une façon continue il faut obtenir une régularisation de la demande des produits, dans les temps. (…) Malgré l’espoir que Feldmann place dans la régularisation de la demand de main-d’oeuvre, il ne lui échappe pas que l’adaptation dépend aussi des efforts de la part des ouvriers à la recherche d’un emploi et il étudie fort consciencieusement ce qui pourrait être fait pour augmenter la mobilité des ouvriers saisonniers. Ce que nous cherchions, pour appuyer notre argumentation, c’est la confirmation du fait que, dans le système économique spontanéiste, l’ouvrier fait preuve d’une faible aptitude à la mobilité et que cette aptitude est d’autant plus faible que la demande est capricieuse. Nous avons obtenu cette confirmation de la part d’auteurs qui ne peuvent être soupçonnés de vouloir critiquer le système capitaliste. Beveridge et Feldmann ont basé leur études uniquement sur l’observation des faits et ne se sont pas souciés de mettre leurs conclusions en parallèle avec les principes inspirateurs du système” [(1) Karl Marx, ‘Le capital’, T. I, ch. 23; (2) Karl Heimburger, ‘Die Theorie von der Industrielle Reservearmee’ Casual employment; (3) Cet ouvrage a eu deux éditions principales, la première en 1909 et la seconde, remaniée et complétée, en 1930; (4) H. Feldmann, ‘The regularization of employment, a study in the prevention of unemployment’; (5) H. Feldmann, op. cit., p. 17]