“Rosa Luxemburg conclut donc que la réalisation de la plusvalue n’est possible que dans la mesure où des marchés non capitalistes sont ouverts au mode de la production capitaliste. Elle voit ces marchés avant tout dans le pouvoir d’achat des classes non capitalistes (paysans) à l’intérieur des pays capitalistes, et dans le commerce extérieur avec des pays non capitalistes (*). Il est certain qu’historiquement le régime capitaliste est né et s’est développé dans un milieu non capitaliste. Il est non moins certain que l’extension de sa base a reçu une impulsion particulièrement dynamique de cette conquête d’espaces nouveaux. Mais de cela il ne découle pas que dans l’absence d’un milieu non capitaliste, la réalisation de la plus-value serait impossible. L’erreur de Rosa Luxemburg consiste dans le fait de traiter la classe capitaliste mondiale comme un tout, c’est-à-dire de faire ‘abstraction de la concurrence’. Il est vrai que Marx, dans ses calculs du taux moyen de profit du tome III du ‘Capital’, part également de la classe capitaliste comme un tout, et Rosa cite cette référence de façon triomphale pour confirmer sa thèse (62). Mais elle semble ignorer que dans son plan d’ensemble du ‘Capital’, Marx a précisé que ‘les crises tombent en dehors du domaine du «capital pris dans son ensemble»; elles résultent précisement des phénomènes qu’il appelle ceux des «différents capitaux», c’est-à-dire de la concurrence’. C’est elle qui détermine toute la dynamique, toutes les lois de développement du capitalisme. Or, la concurrence implique l’échange de marchandises avec d’autres capitalistes. Ce déplacement de valeur à l’intérieur de la classe capitaliste peut très bien être à la base de la «réalisation de la plus-value». Dans le cadre de ces échanges intercapitalistes, «l’ensemble» de la classe capitaliste peut voir son profit global augmenter, réalisé ‘successivement’ par la circulation d’une même somme d’argent (**). ‘C’est l’inégalité du rythme de développement (64) entre différents pays, différents secteurs et différentes entreprises qui est le moteur de l’expansion des débouchés capitalistes’, sans qu’il faille en appeler nécessairement à des classes non capitaliste. C’est elle qui explique comment la reproduction élargie peut continuer même à l’exclusion de tout milieu non capitaliste, comment s’effectue dans ces conditions la réalisation de la plus-value par une accentuation prononcée de la ‘concentration du capital’. En pratique, les échanges avec des milieux non capitalistes ne sont qu’un aspect du développement inégal du capitalisme” [Ernest Mandel, Traité d’économie marxiste. Tome 3′, Paris, 1974] [(*) Boukharine a répondu à cet argument que dans le commerce avec les classes ou pays non capitaliste, il y a aussi échange de marchandises, donc pas de débouchés nouveaux. Il n’a pas compris que ce commerce peut prendre la forma non pas d’un échange de marchandises, mais d’un échange de ‘revenus non capitalistes’ (par exemple rente foncière semi-féodale) issus du modes de production non capitalistes, et de marchandises capitalistes. Il y a donc bien débouchés nouveaux et transferts de valeur en faveur de la bourgeoisie. Sternberg ajoute que si l’on part de son hypothése que seul un reliquat de biens de consommation serait invendable dans une société capitaliste «pure», ces biens de consommation pourraient s’échanger contre des biens de production (matières premières) importés des pays non capitalistes, favorisant ainsi à la fois la réalisation de la plus-value et l’accumulation du capital (61); (**) Voir notamment la remarque très intéressante de Marx dans les ‘Grundrisse’: «La plus-value créée en un point exige la création de plusvalues en un autre point pour s’echanger contre elle». Voir aussi la remarque de Marx dans la ‘Théorie sur la plus-value’: «Mais parce que la production capitaliste ne peut desserrer la bride que dans certaines sphères et à des conditions données, aucune production capitaliste ne serait possible si elle devait se développer dans toutes les sphères simultanéament et de manière uniforme (63)»; (61) N. Bucharin: ‘Der Imperialismus und die Akkumulation des Kapitals’, pp. 95-109; (62) Rosa Luxemburg: ‘Die Akkumulation des Kapitals’, p. 407; (63) Karl Marx: ‘Théorien über den Mehrwert, vol. II, 2, p. 315 de la première édition (Kautsky)]