“En se rendant à Londres au Congrès d’Histoire des Sciences, Boukharine en 1931 est déjà un vaincu sur le plan politique, et il ne lui restait plus que sept années à vivre avant de devenir une victime des procès et de la répression de masse des années 36-38. Evincé en février 1929 de son poste de Président de l’Internationale communiste, de son poste de directeur de la Pravda (après douze ans…), démis en novembre 29 du Bureau Politique, Boukharine s’enferme dans un silence politique officiel de trois ans, après ses dernières interventions critiques de la Pravda (19 février 29, 7 mars 1930). Au moment même où Staline affirme son pouvoir au cours de cette «Revolution d’en haut» que fut la collectivisation, le choix d’une industrialisation intensive, Boukharine dénonce le coût à payer: «une politique d’exploitation féodale et militaire de la paysannerie», «une politique d’implantation du bureaucratisme», la terreur contre le peuple et le parti, l’absence de direction collective, un pouvoir vertical «ou tout se fait par en haut». Bref: «la racine du mal, c’est que le Parti et l’Etat soient si totalement confondus» (7). Réduit au silence politique jusqu’en 1934, avant de reprendre momentanément une parole que la mort tranchera bientôt, Boukharine n’en occupe pas moins (encore) des postes de second plan, par rapport à son rôle dirigeant antérieur: directeur de recherche au Conseil Economique, puis au Commissariat à l’industrie lourde (8) c’est en tant que «théoricien ayant des fonctions de direction dans l’Académie des Sciences» qu’il se rendra à Londres. En somme une sorte de porte-parole semi-officiel, alors que l’antiboukharinisme s’installait comme une des composantes de l’idéologie stalinienne. Précisions, qu’en dépit de son échec politique, il conservait encore une certaine influence intellectuelle et que sa notoriété, si grande après la mort de Lénine, demeurait encore réelle. Disons, pour simplifier que «l’année du Grand Tournant» (1929, selon l’expression de Staline) fut pour Boukharine l’année de «la prise de conscience matérialiste de la faiblesse de la théorie marxiste laissée à elle-même» (9)” (pag 75-76) [(7) Jean Elleinstein, ‘Histoire du Phénomène stalinien’, Grasset, chap. III. Voir également Deutscher, ‘Trotsky’, t. II, Julliard, p. 592 et sq. qui reproduit le récit de la rencontre Boukharine, Kamenev et Sokolnikov. «Sans prononcer le nom de Staline, il (Boukharine) répéta comme un obsédé: Il nous assassinera; c’est un nouveau Gengis Khan». Boukharine parla également des conséquences de la collectivisation telle qu’elle était menée: «Ça veut dire un Etat policier»; (8) Sur tous ces points touchant la biographie politique de Boukharine, on se reportera au livre de Stephen F. Cohen: ‘Boukharin and the Bolschevik Revolution’, Wildwood House, London. Et tout particulièrement, pour la période qui nous intéresse aux chapitres suivants: ‘The fall of Bukharin’ et ‘The last Bolchevik’; (9) Altusser, ‘Est-il simple d’être marxiste en philosophie’, ‘La Pensée’, n. 183, p. 8] [Christine Buci-Glucksmann, ‘Boukharine, théoricien marxiste. Sur l’état’, (in) ‘Dialectiques’, revue trimestrielle, Paris, n. 13 1976]  [Lenin-Bibliographical-Materials] [LBM*]