“Condamnant en même temps le piétisme, dans lequel il ne voit plus qu’un soutien de la réaction, il adopte une conception rationaliste et libérale de la religion. Il écrit en effet dans cette même lettre à Fr. Gräber: «Je te le dis, Fréderic, si tu deviens un jour pasteur, tu pourras être orthodoxe autant que tu le voudras, ma si tu deviens un piétiste qui insulte la «Jeune Allemagne» et fait de la ‘Gazette évangélique’ son oracle, alors, je te le dis, tu auras affaire à moi. Je n’ai jamais été piétiste, j’ai été pendant un certain temps mystique, mais ce sont là des temps passés: je suis maintenant un supra-naturaliste convaincus et relativement très libéral (2)». On voit par cette lettre comment il se dégageait maintenant entièrement du dogme et devenait en même temps un partisan déterminé de la Jeune Allemagne dont il adoptait les idées, évoluant ainsi ver un libéralisme à la fois religieux et politique. Ces conceptions nouvelles, qui attisent en lui l’ardeur au combat, trouvent leurs expression dans un fragment de tragicomédie, ‘Siefried à la peau cornée’, qu’il envois le 1er mai 1839 à Fr. Gräber (3). Contrairement aux premières poésies, ‘Les Bédouins’ et ‘Floride’, dans lesquelles le désir de libération et de liberté s’exprimait sur un mode élégiaque, son désir de combattre pour se libérer se manifeste ici sous les traits du jeune Siegfried, brisant tous les obstacles qui s’opposent à lui. Il décrit avec  enthousiasme comment celui-ci quitte le château de son père, pour se précipiter impétueusement dans le tourbillon de la vie et aller au devant de son destin et fait dire à Siegfried, qui se compare à un torrent déchaîné balayant tous les obstacles: “Le torrent sauvage se précipite impétueusement à travers la gorge boisée; devant lui les pins s’ecroulent en mugissant, c’esta ainsi qu’il fraye sa voie. Je veux être comme ce torrent et me frayer tout seul ma route (4)”. Ce désir de lutter qui s’exprimait de façon encore vague devait bientôt prendre un caractère plus précis du fait que Fr. Engels allait maintenant s’engager dans le mouvement libéral et démocratique. Dans sa lutte pour accéder à la vérité et à la liberté, Fr. Engels s’était tout d’abord libéré du piétisme étroit qui régnait dans sa famille et de la stricte orthodoxie qu’il avait trouvée à Brême” [August Cornu, ‘Karl Marx et Friedrich Engels. Leur vie et leur oeuvre. Tome premier. Les années d’enfance et de jeunesse. La gauche hégélienne 1818/1820 – 1844’, Paris, 1955] [(2) Cf. Mega, I, t. II, pp. 504; (3) Ibd., pp. 507-515, Lettre à Fr. Gräber du 23 avril-1er mai 1839; (4) Cf. Mega, I, t. II, pp. 508-509]