“L’abandon soudain de la capitale par les troupes gouvernementales laisse le comité devant un pouvoir visiblement trop lourd pour lui. Il montre en tout cas un empressement singulier à se dessaisir de son pouvoir entre les mains d’un Conseil communal élu. Sur les 92 conseillers que les électeurs désignent, le 26 mars, il n’y a que 21 républicains modérés et radicaux. 18 sont des internationaux et 44 des blanquistes et néo-jacobins, 36 élus ne pouvant pas, tel Blanqui, ou refusant de siéger, le 16 avril voit se renforcer les rangs blanquistes, néo-jacobins et internationaux (Seraillier, notemment, entre au conseil). La diversité des tendances représentées au sein du conseil de la Commune explique à la fois l’aspect composite de son programme et de ses réalisations, et en partie son échec. Elle fait justice, en tout cas, de l’accusation colportée par la presse conservatrice de toute l’Europe et qui voit dans la Commune une simple création de l’Internationale: les internationaux qui y participent sont, pour la pluspart, proudhoniens et en mauvais termes avec le conseil général qui a appuyé la création d’un conseil fédéral rival: et les adresses successives du conseil général rédigées par Karl Marx sont autant de mises en garde contre toute rupture hâtive, même si l’auteur ne cache pas son enthousiasme. Qui inspire la Commune? La réponse est complexe: il est évident que les aspects économiques et sociaux, et même politiques, de son programme sont nettement marqués par les idées de Proudhon. En témoignent des revendications telles que la coopération, le crédit gratuit, la libre circulation des produits du travail, une “banque du peuple”, le refus de tout centralisme, l’Etat nouveau étant conçu comme devant être une fédération de communes autonomes. Sur les questions militaires et certains problèmes politiques, se rencontrent néo-jacobins et blanquistes, tous fermement attachés au principe de la dictature, les premiers par pieuse fidélité aux souvenirs hèroïques de 1793, les seconds mettant en pratique une conviction ancienne que nous avons pu suivre, de complot en complot, depuis la lointaine “Société des saisons”. Mais en ces temps décisifs, les blanquistes sont moins bien armés qu’on ne pourrait l’imaginer: l’absence de leur chef les prive d’un élément de cohérence irremplaçable: de nombreux votes voient certains d’entre eux, disciples récents comme Eduoard Vaillant ou de longue date, tel Gustave Tridon, rejoindre les rangs de internationaux. On connait la suite: cette initiative que le comité central n’avait pas su conquérir, au lendemain de la retraite des troupes versaillaises, celles-ci la saisissent. Le 21 mai, elles font leur entrée dans la capitale, par l’ouest. Les insurgés sont décidés à résister pied à pied, rue après rue, maison par maison. Corps à corps acharné où, caché dans le renforcement d’un mur, l’ouverture d’un porche, de la porte de Saint-Cloud aux hauts de Belleville, l’ouvrier tire ses rares cartouches sur la marée irrésistible des soldats. Lentemetn, l’armée progresse: au bout d’une semaine, elle atteint les derniers retranchements des communards, au fin fond des quartiers populaires. Quand la dernière résistance s’éteint, 25 à 30.000 comunards sont morts au combat, dans une nouvelle “semaine sanglante” qui a dépassé en horreur toutes les autres. A la révolte organisée, pacifique et un instant victorieuse du prolétariat, la bourgeoisie n’a su trouver qu’une seule réponse: le génocide. Car c’est bien d’un génocide qu’il s’agit: des dizaines de milliers de morts, des milliers d’autres traînés devant des cours martiales, jugés hâtivement, puis déportés ou jetés en prison. Les plus heureux ont pu s’enfuir, s’exiler. Le parti blanquiste est décimé, dispersé, anéanti. Rigault tué pendant les derniers combats, Tridon fuyant à Bruxelles où il va mourir, tant d’autres assassinés par des pelotons d’exécution ou déportés dans des bagnes lointains, exilés dans plusieurs pays d’Europe ou d’Amérique. Le mouvement ouvrier français est décapité” [Pierre Guidoni, ‘Blanqui’] [(in)  Les Grands Révolutionnaires. Socialistes utopistes et anarchistes. A la recherche du bonheur’, Romorantin, 1977]