“Dans une série d’articles, Léon Blum a récemment montré que le projet de réforme de la constitution était complètement imprégné d’esprit bonapartiste. Le Comité antifasciste des intellectuels de gauche (Langevin et les autres) montra, dans son appel, l’analogie véritablement étonnante entre les derniers discours de Doumergue et les manifestes de Louis-Napoléon en 1850. Le théme du bonapartisme ne quitte plus l’ordre du jour. Des gens qui ne voulaient pas entendre parler du bonapartisme quand se préparaient ses conditions sociales et politiques, l’ont reconnu à ses formules juridiques et à sa rhétorique du chantage. La méthode marxiste a de nouveau montré ses avantages. C’est précisément elle qui nous a permis de reconnaitre la nouvelle formation étatique alors qu’elle commençait  seulement à se former: nous l’avons déterminée non pas par ses fleurs juridiques et rhétoriques, mais par ses racines sociales. Cette méthode nous permet aussi maintenant de mieux comprendre le sens du néo-bonapartisme qui s’est formé chez nous. Son essence n’est nullement dans la révision formelle de la constitution comme le pense Léon Blum. C’est seulement la tradition juridique de la pensée politique française qui a poussé Doumergue sur le chemin de Versailles. La révision réelle de la constitution est en fait déjà accomplie. Il s’agit non pas de trois ou quatre paragraphes, mais de trois ou quatre dizaines de milliers de revolvers fascistes. Engels a dit naguère que l’Etat, c’est des détachements de gens armés avec des attributs matériels tels que des prisons. Pour de vieux nigauds démocrates dans le genre de Renaudel, cette définition fut presque toujours un blasphème. Maintenant, l’Etat se tient devant nous dans toute sa nudité cynique. A l’aide de quelques milliers de revolvers, les fascistes, gardes du corps du capital financier, ont égalé et neutralisé les millions d’ouvriers et de paysans désarmés; c’est ce seul fait matériel qui a créé la possibilité de l’apparition du régime bonapartiste. Pour renverser le gouvernement bonapartiste, il faut écraser avant tout ses détachements auxiliaires armés. Pour cela, il faut armer l’avant-garde du prolétariat en créant la milice ouvrière. Telle est la leçon de l’expérience historique et de l’analyse marxiste. (France, 1er décembre 1934)” [Léon Trotsky, A propos du bonapartisme, le marxisme a ses avantages] [(in) L. Trotsky, La lutte antibureaucratique en URSS. Tome II. La Révolution nécessaire, 1933-1940′, Paris, 1975]