“Un troisième représentant du déterminisme mécanique est Nicolas Boukharine, dont l’approche générale du marxisme a déjà fait l’objet de remarques caustiques. Sur le terrain du “matérialisme historique” comme science, les ‘Cahiers de prison’ [Gramsci, ndr] contiennent là encore des allusions critiques sur le livre du théoricien russe. Pour les apprécier, il convient de rappeler quelque peu les thèses développées dans la ‘Théorie du matérialisme historique’ (1921). D’après l’auteur, toute société en tant que “système” entretient des rapports avec son “milieu extérieur”, la nature. L’évolution de ce “système” dépend des changements dans les rapports avec le “milieu” qui concernent le travail humain, et donc le processus de la reproduction sociale. Il déclare: “L’indice matériel précis des rapports entre la societé et la nature est donné par le système des moyens sociaux de travail, c’est-à-dire par la technique d’une société déterminée. Dans cette technique s’expriment les forces productives matérielles de la société et la productivité du travail social” (84). La “technique sociale” représente l’indice de l’équilibre nécessairement “instable”, “‘externe'”, qui s’instaure entre la nature et la société. En effet, dans le cadre de la “reproduction élargie”, l’équilibre va se rompre pour se rétablir ensuite à un niveau supérieur. La “technique sociale” ou “système des instruments de travail”, identifiée chez Boukharine aux “forces productives matérielles”, détermine la “base” ou la “structure économique” de la société, formée par l’ensemble des rapports de production, et donc des rapports entre les classes sociales. Il existe entre la “technique sociale” et la “structure économique” un “équilibre instable”, “‘interne'”, cette fois, remis en cause par une relation de conflit décisive, puisqu’elle aboutira à la révolution. Parallèlement, un autre équilibre instable et “interne” s’instaure entre la “structure économique” et les superstructures, et propose une analyse originale. De même que dans la société toute entière, on trouve dans cette sphère trois éléments: les “choses”, les “hommes”, les “idées” (85). En effet, on peut dégager trois niveaux: I. des objets matériels, des “techniques”, des instruments de travail. Pour l’appareil d’Etat, il s’agit des canons, des bureaux…; pour la science, il s’agit des instruments de laboratoire, des livres…; enfin, pour les arts, on peut mentionner les instruments de musique. II. des “organisations”, des “rapports entre les hommes”. On trouve ici l’appareil d’Etat, les partis politiques, les syndicats, mais aussi les organisations scientifiques, artistiques, et religieuses. III. des “combinaisons d’idées”. Elles peuvent être non systématisées ou systématisées. Non systématisées; confuses, elles représentent la “psychologie sociale” ou les idées dites “courantes”. Systématisées, elles forment la “structure idéologique”, composée d’une part de “système d’idées” et d’autre part de règles de conduites (morale). Les “idéologies” peuvent être baptisées “cristallisations de psychologie sociale”: la philosophie, l’art, la religion, la science et même le langage. Toutefois, Boukharine tente de faire coïncider, au moins partiellement, cette conception de l'”idéologie” avec le premier sens de Marx, entendu comme “conscience fausse” (86). Il va introduire dans ce but des développements sur le “mode de répresentation” comme reflet du “mode de production” dominant au sein de la “structure économique”, en se référant notamment à la théorie du fétichisme des marchandises proposée au Livre 1er du ‘Capital’ (87). Dans son analyse la “technique sociale” détermine la “structure économique”, mais aussi la “technique des superstructures”. La “structure économique”, quant à elle, détermine les “organisations” et les “combinaisons d’ideés”. Cependant, l’auteur admet l'”influence en retour” des superstructures sur la “structure”, et d’une manière générale l’interaction des causes et des effets. Il entend se démarquer de tout fatalisme et rejette la “théorie des facteurs” selon laquelle “il n’existe que l’économie”, et tout le reste n’est que futilités” [Jean-Pierre Potier, Lectures italiennes de Marx. Les conflits d’interprétation chez les économistes et les philosophes, 1883-1983, 1986] [(85) ‘La théorie du matérialisme historique, 1971, p. 136-137, 159, 219-220. Voir aussi le Supplément “Brèves remarques sur le problème de la théorie du matérialisme historique” (1923), op.cit., p. 346; Notamment pp. 238-240; (87) Op. cit, pp. 250-255 et “Brèves remarques”, pp. 347-348]
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- Articolo pubblicato:30 Dicembre 2013