“Feuerbach fut le héros de Marx pendant toute la période 1842-45 et surtout l’année 1844, année décisive où Marx s’est converti au communisme et fit sa seule et unique tentative de formuler systématiquement sa pensée ‘philosophique’. Regardons donc de plus près les “grandes actions” (1), les “decouvertes” (2), les “réelles révolutions théoriques” (3), que le jeune Marx a attribué à Feuerbach. Critique de la religion. Tout d’abord, Feuerbach a “achevé” la critique de la religion (4). Il démontra que dans la religion l’homme projette hors de lui sa véritable essence et se perd dans un monde illusoire qu’il a lui-même créé, mais qui le domine comme une puissance étrangère. (…) “Notre tâche, déclare Feuerbach, est de prouver que la distinction entre ce qui est divin et ce qui est humain n’est qu’une illusion, qu’elle n’est pas autre chose que la distinction entre l’essence de l’homme et l’individu”. En récupérant sa propre essence aliénée en Dieu, l’homme retrouvera complètement et définitivement son être générique qu’il séparait jusqu’alors de lui et deviendra lui-même “l’être suprême de l’homme” (5). Ainsi l’humanisme prend la place de la religion. “L’incroyance a remplacé la foi, la raison, la Bible, la politique la religion et l’Eglise, la terre a remplacé le ciel, le travail, la prière, la misère matérielle, l’enfer, l’homme a remplacé le chrétien” (6). (…) Et comme la religion chrétienne présuppose que l’homme demeure esclave sur terre, l’humanité nouvelle “n’aura pour ainsi dire ‘droit’ à la république qu’à condition de supprimer la religion chrétienne”… Ainsi, comme dira Marx, la critique de la religion “aboutit à cet enseignement que l’homme est l’être suprême pour l’homme, c’est-à-dire à l’impératif catégorique de renverser tous les rapports sociaux qui font de l’homme un être humilié, asservi, abandonné, méprisable” (7). (…) Précisément; le mérite de Feuerbach a été d’avoir dévoilé l’essence religieuse et théologique de la philosophie. Critique de la philosophie. La seconde “grande action” de Feuerbach a été la démolition définitive de la philosophie traditionnelle. Il a établi “de main de maître les grands principes fondamentaux pour la critique de toute la métaphysique” (8). (…) En troisième lieu, Feuerbach a définitivement démystifié la dialectique spéculative de Hegel. “Mais qui donc a dévoilé le mystère du système? Feuerbach. Qui donc a anéanti la dialectique des concepts, cette guerre des dieux connue des seuls philosophes? Feuerbach. Qui donc a mis l’homme à la place du vieux fatras? Feuerbach, et Feuerbach seul” (9). C’est à la lumière des “grandes actions” de Feuerbach que Marx critiquera, dans la dernière partie des ‘Manuscrits de 1844’ et la ‘Sainte Famille’, la ‘logique’ de Hegel (…). Quatrièmement, Feuerbach ne s’est pas limité à une critique purement négative, comme celle des jeunes hégéliens de gauche. Feuerbach a “surmonté une fois pour toutes la vieille opposition entre le spiritualisme et le matérialisme” (10) (…). Enfin, Feuerbach a également “fondé” la “critique ‘positive’ en general” (11), la “critique humaniste et naturaliste ‘positive'”. Marx ira jusqu’à dire que la critique de l’économie politique elle-même “doit sa véritable fondation aux découvertes de Feuerbach” … Son seul défaut, dit Marx, est qu’il “insiste trop sur la nature et trop peu sur la politique” (12). Or c’est seulement “en s’alliant à la politique” que la philosophie actuelle pourra devenir une ‘vérité'” [Kostas Papaioannou, De la critique du ciel a la critique de la terre’, introduction] [(in) K. Marx F. Engels, La première critique de l’économie Politique. Esquisse d’une critique de l’économie politique (Engels) – Critique de l’économie politique (Manuscrits de 1844) (Marx), 1972] [(1) Manuscrits de 1844, EB, I, p. 569-570; (2) Ibid. p. 469, 470, 596; (3) Ibid., p. 468; (4) La Sainte Famille, Werke, II, p. 147; (5) Feuerbach, L’essence du christianisme, p. 38 et 311; (6) Feuerbach, Necessité d’une réforme de la philosophie, 1842. Dans ‘Manifestes philosophiques, 1960; (7) Marx, ‘Introduction à la critique de la philosophie du Droit de Hegel, janvier 1844, Werke, I, p. 385; (8) ‘La Sainte Famille, 1845; Werke II, p. 147; (9) La Sainte Famille, Werke II, p. 98; (10) Ibid., p. 99; (11) Manuscrits de 1844, p. 468; (12) Marx, lettre à Ruge, le 13 mars 1843, ‘Werke’, XXVII, p. 417]
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- Articolo pubblicato:21 Novembre 2013