“Marx prévoyait, au terme du développement des contradictions inhérentes au capitalisme et de leur dépassement par la société socialiste, la revolarisation du travail dans les ‘ateliers’, grâce au polytechnisme et à l’enseignement professionnel. Tel est le fond de sa pensée dans la célèbre page du ‘Capital’: “La grande industrie, par ses catastrophes mêmes, établit que c’est pour tous une question de vie ou de mort de reconnaître la varieté des travaux et, par suite, les aptitudes les plus diversifiées des ouvriers comme la loi générale et sociale de la production et d’adapter les circonstances à la réalisation normale de cette loi. C’est une question de vie ou de mort de changer la situation monstrueuse, de remplacer la misérable population ouvrière, toujours disponible et mise en réserve pour les besoins variables de l’exploitation capitaliste, par des hommes absolument disponibles pour les exigences variables du travail, de substituer à l’individu parcellaire, simple exécutant d’une fonction sociale de détail, l’individu à développement intégral, pour qui les diverses fonctions sociales ne seraient que des façons différentes et successives de son activité” (Ed. Molitor, t. III, p. 175). Par ailleurs, dans les gloses marginales que Marx rédigea, en mai 1875, après la publication du projet de programme élaboré par les délégués lassalliens et marxistes au Congrès de Gotha, on trouve, sur la revalorisation psychologique et morale du travail dans la société communiste, des réflexions qui vont dans le même sens: “Dans una phase supérieure de la société communiste, quand auront disparu l’asservissante subordination des individus à la division du travail et, avec elle, l’antagonisme entre le travail intellectuel et le travail manuel, quand le travail sera devenu, non seulement le moyen de vivre, mais même le premier besoin de l’existence; quand, avec le développement en tous sens des individus, les forces productives iront s’accroissant et que toutes les sources de la richesse collective jailliront avec abondance, alors seulement l’étroit horizon du droit bourgeois pourra être complètement dépassé et la société pourra écrire sur ses drapeaux: ‘De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins” (Critique du Programme de Gotha, Librairie de l’Humanité, 1922, pp. 35-36). (…) Marx, qui a si lucidement prévu tant d’aspects de notre siècle, ne pouvait tout prévoir. Ce serait lui faire injure que de supposer qu’il n’eût pas revisé certains de ses jugements en observant l’evolution contemporaine des sciences et des techniques. Au reste, à la fin de sa vie, rédigeant le tome III du ‘Capital’, il a donné lui-même, sur cet sujet, une expression beaucoup plus nuancée de sa pensée dans une page d’une admirable richesse que nous croyons utile de citer intégralement: “… Le domaine de la liberté, ecrit Marx, commence seulement là où cesse le travail qui est déterminé par la nécessité et la finalité extérieure; d’après sa nature, ce domaine se situe donc au delà de la sphère de la production à proprement parler matérielle. Comme le sauvage doit lutter avec la nature pour satisfaire ses besoins, pour continuer et produire sa vie, de même l’homme civilisé y est obligé et il l’est dans toutes les formes de la société et dans toutes les manières possibles de la production. A mesure qu’il se développe, ce domaine de la nécessité de la nature s’élargit, parce que les besoins augmentent; mais en même temps croissent les forces productives qui les satisfont. La liberté dans ce domaine ne peut donc consister qu’en ceci: l’homme socialisé, les producteurs associés règlent rationnellement ce métabolisme (‘Stoffwechsel’) entre eux et la nature, le soumettant à leur contrôle commun au lieu d’être dominés par lui comme par une force aveugle; ils l’accomplissent avec la moindre dépense d’énergie possible et sous les conditions qui sont les plus dignes de leur nature humaine et qui y sont les plus adéquates. Néanmoins, cela reste toujours un domaine de la nécessité. C’est au delà que commence ce développement des forces humaines qui est à lui-même son propre but, qui constitue le véritable domaine de la liberté, mais qui ne peut éclore que sur la base de cet empire de la nécessité. La reduction de la journée de travail est la condition fondamentale” (1). Rien n’indique que Marx ait renoncé à sa conception de la revalorisation du travail par le polytechnisme et le “developpement intégral” du travailleur. Néanmoins, il l’assouplit désormais et met l’accent sur d’autres aspects du problème: au fur et à mesure que la production se complique et que les besoins augmentent, s’étend par là même, de plus en plus, le domaine de la nécessité; parallèlement, grâce à la multiplications des biens de consommation, la possibilité de satisfaire aux besoins s’accroît en même temps que leur extension” [Georges Friedmann, Où va le travail humain?, 1953] [(1) ‘Das Kapital’, t. III, Hamburg, 1894, éd. F. Engels, 2e partie, chap. 48, p. 355 (Ed. Marx-Engels-Lenin Institut, Zurich, 1934, pp. 873 et suiv.). Nous citons ce texte dans l’excellente traduction qu’en a donnée M. Eric Weil, ‘Critique’, janv.-févr. 1947] (pag 365-367)
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- Articolo pubblicato:4 Ottobre 2013