“Le point suivant fut l’élection du nouveau Conseil général. La majorité de l’ancien Conseil (5), Marx, Engels, Serraillier, Dupont, Wroblewski, Mac Donnell et d’autres proposèrent de transférer le Conseil à New York et d’y nommer les huit membres du Conseil fédéral américain, auxquels viendraient s’ajouter sept autres membres, élus par la fédération américaine. La raison de cette proposition était que le membres les plus actifs de l’ancien Conseil général avaient été obligés ce dernier temps de vouer tout leur temps à l’Internationale et qu’ils n’étaient plus en mesure de continuer ainsi. Depuis des mois, Marx et Engels avaient informé leurs amis qu’ils ne pouvaient poursuivre leurs travaux scientifiques qu’à condition de se retirer du Conseil général. D’autres membres pouvaient invoquer des raisons similaires. Par conséquent, si le Conseil génèral devait rester à Londres, il aurait été privé justement de ceux de ses membres qui s’étaient chargés jusqu’alors de tout le travail réel, aussi bien de la correspondance que des travaux littéraires. En outre, il y avait à Londres deux éléments qui aspiraient à la prépondérance au Conseil général et qui, dans ces circonstances, l’auraient probablement obtenue. L’un était constitué par le blanquistes français (il est vrai qu’ils n’avaient jamais été reconnus par Blanqui), une coterie peu nombreuse pour qui les phrases révolutionnaires tiennent lieu de l’intelligence de la véritable marche du mouvement et qui préfère à l’activité de propagande de petites conspirations imaginaires qui mènent uniquement à des arrestations inutiles (6). Confier à ces gens la direction de l’Internationale en France équivaudrait à jeter inutilement nos gens de là-bas dans les prisons et à désorganiser de nouveau tous les trente départements dans lesquels l’Internationale se developpe. Au Congrès même, on eut souvent l’occasion de se persuader que les Internationaux en France accepteraient n’importe quoi, excepté la direction de ces Messieurs. Le second élément dangereux à Londres était constitué par ces leaders ouvriers anglais auxquels Marx a jeté à la figure, pendant le Congrès, ce mot: c’est une honte de se trouver parmi ces leaders ouvriers, car presque tous sont vendus à Sir Charles Dilke, à Samuel Mosley ou à Gladstone lui-même. Ces gens, qui avaient été jusque-là tenus à l’écart par la majorité compacte des Français et des Allemands du Conseil fédéral, auraient maintenant joué un rôle tout différent et l’action des Internationaux en Angleterre serait alors passée sous le contrôle non seulement des radicaux bourgeois, mais probablement sous celui du gouvernement lui-même. Le transfert du siège s’imposait donc, et une fois accepté, New York était le seuil endroit qui réunissait les deux conditions nécessaires: sécurité des archives de l’Association et composition internationale du Conseil général. Il ne fut pas très facile de faire accepter ce transfert (…)” (pag 243-244) [Friedrich Engels, Le Congrès de l’Internationale à La Haye, (in) ‘La Première Internationale Ouvrière’, Cahiers de l’Isea, N° 152 août 1964] [(5) En septembre 1872, le Conseil général était composé de 48 membres, dont 18 seulement étaient présents au Congrès (six comme délégués du Conseil et douze comme délégues des diverses sections). Douze ont voté pour le transfert du Conseil à New York et six ont voté contre. Il s’agit donc d’une majorité telle que Marx, dans le cas du Congrès de la Fédération romande de 1870 (La Chaux-de-Fonds), a qualifiée de “nominale”); (6) Le “parti blanquiste”, groupé à Londres dans ‘La Commune révolutionnaire’, comptait parmi ses membres Emile Eudes, Ernest Granger, les frères Da Costa, Marguerittes, Constant-Martin, Breuillé, Albert Goullé, et le quatre délégués de La Haye: Edouard Vaillant, Antoine Arnaud, F. Cournet et G. Ranvier. Ce qu’on a appelé la “coalitions des blanquistes et des marxistes” avait contribué à la victoire des principes “marxistes” lors de la Conférence de Londre (1871). Pour le différend entre blanquistes et marxistes en septembre 1872, voire la brochure de Vaillant l”Internationale et la Révolution’ que nous reproduisons plus haut]