“On ne peut manquer de citer, pour ouvrir le propos, le morceau de bravoure par lequel Karl Marx conclut le chapitre IV du ‘Capital’: “La sphère de la circulation des marchandises, où s’accomplissent la vente et l’achat de la force de travail, est en vérité un véritable Eden des droits naturels de l’homme et du citoyen. Ce qui y règne seul, c’est Liberté, Egalité, Propriété et Bentham. (…) Au moment où nous sortons de cette sphère de la circulation simple qui fournit au libre-échangiste vulgaire ses notions, ses idées, sa manière de voir et le critérium de son jugement sur le capital et le salariat, nous voyons, à ce qu’il semble, s’opérer une certaine transformation dans la physionomie des personnages de notre drame. Notre ancien homme aux écus prend les devants et, en qualité de capitaliste, marche le premier; le possesseur de la force de travail le suit par dérrière comme son travailleur à lui; celui-là le regard narquois, l’air important et affairé; celui-ci timide, hésitant, rétif, comme quelqu’un qui a porté sa propre peau au marché, et ne peut plus s’attendre qu’à une chose: à être tanné” (Karl Marx, Le Capital, livre Ier (1867), in Karl Marx, Oeuvres, tome I, 1965, p. 726). Tout est dit de l’ambivalence d’un “marché” du travail. Comme marché, il suppose l’égalité des parties et la liberté des contractants. Et Karl Marx, malgré l’ironie mordante de ce texte, prenait ces caractéristiques très au sérieux, car elles permettent de distinguer le salariat des formes “précapitalistes” d’exploitation du travail, tels l’esclavage et le servage: “Considérons le salaire dans ce qu’il a de plus abject, à savoir que mon activité se change en marchandise et que je deviens moi-même, dans tout mon être, un objet vénal. 1°. Toute trace de relations patriarcales ayant disparu, le seul rapport entre employeur et ouvrier reste désormais le trafic, l’achat ert la vente, l’argent. 2°. Dissoutes en pure relations d’argent, toutes les institutions de l’ancienne société ont perdu leur auréole (…). 4°. (…) Avantage de l’ouvrier à pouvoir utiliser son argent comme il veut, sans plus avoir affaire à des prestations en nature ni à subir un genre de vie prescrit par la corporation (féodale)” (Karl Marx, Salaire (1847), in Karl Marx, Oeuvres, tome II, “Economie”, 1968, p. 169). Mais Karl Marx nous invite à regarder au-delà de ce point de vue, celui du “libre-échangiste vulgaire”, en pénétrant dans le “laboratoire secret de la production, sur le seuil duquel il est écrit: ‘No admittance except on business” (K. Marx, Le Capital, livre 1er, (1867)). Une autre réalité se dévoile alors: celle de l’exploitation. Le “marché du travail” est “dissymétrique” come Adam Smith le premier l’avait dit (…). Karl Marx va plus loin en montrant que le problème ne tient pas seulement à l’inégalité du “rapport de forces” entre les parties; mais à la nature même de la “marchandise” qui est censée circuler entre elles. Il reprend en fait Eugène Buret (…)” [Thierry Pillon e François Vatin, La question salariale: actualité d’un vieux problème] [(in) ‘Le salariat: histoire, théorie et formes’, a cura di François Vatin, 2007]