“Quelques années plus tard, Marx écrira à Engels: “En aucun autre pays d’Europe, la domination étrangère n’a pris cette forme directe de l’expropriation des indigènes”. Cette évolution induit une nouvelle dimension de la pensée marxiste, en même temps qu’un nouveau facteur: l’impérialisme. Rapidement esquissée par Engels, c’est l’idée qui va peu à peu devenir le point central de la pensée de Marx sur l’Irlande: l’asservissement impérialiste de l’Irlande permet celui du prolétariat anglais, l’émancipation de l’une est impossible avant la libération de l’autre. Sous sa plume, l’Irlande sera mentionnée dans l’adresse inaugurale de l’Association internationale du travail de 1864. Et jusqu’au soulèvement de la Commune de Paris, on peut dire que la question d’Irlande a figuré au premier rang des préoccupations de Marx et d’Engels. Ils suivent de près l’activité des Fenians, mobilisent l’Internationale en faveur des trois inculpés du procès de Manchester, en 1867, et portent le deuil après leur exécution. Marx pense qu’à la faveur des troubles en Irlande se produira une réaction en chaîne: le système colonial abattu, le verrou capitaliste sautera en Angleterre même, pour peu que la classe ouvrière anglaise, qui est seule à même de faire triompher la cause irlandaise, y prête son concours. Mais è partir de 1868 les termes de l’analyse marxiste sont renversés. Le vote du deuxième ‘Reform Bill’ et la très large participation ouvrière aux élections de 1868 ont déçu l’attente des deux socialistes. Engels dénonce l’incapacité politique du prolétariat anglais, prêt à donner ses voix à n’importe quel parvenu. Il doit reconnaître que les masses populaires, loin d’être anti-impérialistes, profitent de l’expansion du commerce anglais, et il prophétise: “Dans cette nation éminemment bourgeoise, une aristocratie bourgeoise et un prolétariat bourgeois surgiront peut-être à côté de la bourgeoisie existante”. Puisque le prolétariat anglais n’a pas voulu se servir du levier irlandais pour renverser le capitalisme anglais, c’est donc aux masses irlandaises qu’échoira ce rôle. Dans une lettre à Engels du 10 décembre 1869, Marx avoue: “J’ai longtemps cru que c’est l’essor du mouvement anglais qui permettrait de renverser le régime irlandais… Une étude m’a convaincu du contraire. La classe ouvriére anglaise ne fera rien avant de s’être débarrassée de l’Irlande. C’est en Irlande que doit être appliqué le levier. Voilà pourquoi la question irlandaise a una telle importance pour le mouvement social en général”. Dans une lettre du 9 avril 1870 adressée à Meyer et Vogt, correspondants de l’Internationale aux Etats-Unis, Marx systématise son raisonnement. Ce texte revêt une importance toute particulière dans le schéma marxiste: “Après de longues années passées à étudier la question irlandaise, j’en suis venu à la conclusion que le coup décisif contre le classes dirigeantes anglaises (et il sera décisif pour le mouvement ouvrier dans le monde entier) ne peut pas être porté en Angleterre mais seulement en Irlande…”” [Pierre Joannon, Histoire de l’Irlande et des Irlandais, 2009]
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- Articolo pubblicato:30 Marzo 2013