“‘Les Etapes de la pensée sociologique’  retiennent sept grands auteurs, Montesquieu, Comte, Marx, Tocqueville, Durkheim, Pareto et Weber, dont le choix était commenté en préambule. La présence de Montesquieu sonnait comme un manifeste en faveur d’une sociologie philosophique, qui se distinguait à la fois de Durkheim et de Talcott Parsons. ‘L’Esprit des lois’, par sa démarche comparative cherchant à cerner les variables des régimes et des Etats, introduisait la sociologie dans la philosophie politique. L’influence de Léon Brunschwicg joua également qui, dans ‘Les Progrès de la conscience dans la philosophie occidentale’, érigeait Montesquieu en figure du sociologique exemplaire par le recours à la méthode analytique contre la méthode synthétique qu’élaborènt au XIXe siècle Auguste Comte et ses successeurs. (…) Aron, comme à son habitude, joignait à un scrupuleux souci d’objectivité, qui l’amena à marquer l’importance de Durkheim en dépit des réticences qu’il éprouvait pour sa théorie totalisante du social, ou à critiquer Weber en dépit de la sympathie et de l’admiration qu’il nourrissait pour lui depuis sa jeunesse, un point de vue engagé: “Je me réclame, dans la conclusion de la première partie, de l’école des sociologues libéraux, Montesquieu, Tocqueville, auxquels je joins Elie Halévy. Je le fais non sans une ironie (“descendant attardé”) qui a échappé aux critiques de ce livre, déjà paru aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Il ne me paraît pas inutile d’ajouter que je ne dois rien à l’influence de Montesquieu ou de Tocqueville dont je n’ai sérieusement étudié les oeuvres qu’au cours des dix dernières années. En revanche, j’ai lu et relu les livres de Marx depuis trente-cinq ans. J’ai plusieurs fois usé du procédé rhétorique du parallèle ou de l’opposition Tocqueville-Marx, en particulier dans le premier chapitre de l”Essai sur le libertés’. Je suis arrivé a Tocqueville à partir du marxisme, de la philosophie allemande et de l’observation du monde présent. Je n’ai jamais hésité entre ‘La Démocratie en Amérique’ et ‘Le Capital’. Comme la plupart des étudiants et des professeurs français, je n’avais pa lu ‘La Démocratie en Amérique’ quand, pour la première fois, ne 1930, je tentai, sans y parvenir, de me démontrer à moi-même que Marx avait di vrai et que le capitalisme était une fois pour toutes condamné par ‘Le Capital’. Je continue, presque malgré moi, à prendre plus d’intérêt aux mystères du ‘Capital’ qu’à la prose limpide et triste de ‘La Démocratie en Amérique’. Mes conclusions appartiennent à l’école anglaise, ma formation vient surtout de l’école allemande (1)” ((1) Raymond Aron, ‘Les Etapes de la pensée sociologique’, p. 21)” [Nicolas Baverez, Raymond Aron. Un moraliste au temps des idéologies, 2006]