“Une autre approche suggère que c’est l’insuffisance théorique profonde du prétendu marxisme français qui a affaibli le mouvement ouvrier en le privant d’une doctrine convaincante et d’une stratégie efficace. Telle est l’approche de Michelle Perrot qui ne manque pas de souligner, par exemple; la superficialité du marxisme d’un Paul Lafargue. Cette vision des choses a déjà toute une histoire: Engels avait certainement peu de respect pour le niveau du discours des socialistes français (dans le cas de Lafargue, il avait d’autres raisons, plus personnelles, de désapprobation); et un souverain mépris pour les incursions françaises dans la théorie était monnaie courante dans certains cercles de la Deuxième Internationale. Mais que cela soit vrai ou non, cette critique passe à côté de la question. C’est précisément ce marxisme, tel que l’ont présenté Lafargue ou Guesde, qui, malgré ses limites évidentes, fut reçu comme une chose très familière par les Français habitués aux écrits socialistes d’une précédente génération ‘pour la raison’ bien simple que ces hommes intégraient dans leur totalité l’optimisme moral contradictoire et le positivisme social  qui formaient ‘la’ marque distinctive du vieux socialisme français et contre lequel Marx n’avait pas mâché ses mots.” [Tony Judt, Le marxisme et la gauche française, 1830-1981, 1987]