“Marx avait lu à la hâte en 1843 le livre de Bailleul sur les ‘Considérations’ de Madame de Staël, sa première lecture sur l’histoire de la Révolution française, pendant l’été à Kreuznach – et y avait pris de brèves notes. C’est à Paris, fin 1844 – début 1845, qu’il se plonge avec passion dans cette histoire en lisant les ‘Mémoires’ de René Levassuer de la Sarthe, l’ancien Conventionnel, rédigé et développés treize années auparavant par Achille Roche. Il a copié, souligné, traduit et paraphrasé de nombreux passages qui permettent de dégager les aspects auxquels il s’intéressa, les points qui lui parurent capitaux et finalement le mouvement même de cette révolution à laquelle il envisegeait alors de consacrer un livre d’histoire (1). L’une de ses premières remarques, l’un des aspects entrevus dans les ‘Mémoires’ de Levasseur qui le frappe particulièrement, est l’état d’esprit de la période, le sentiment révolutionnaire qui prévaut. Marx, qui lit ce livre en 1844, sous le règne conservateur de Louis Philippe où les révolutionnaires et les démocrates sont non seulement exclus de la vie politique mais totalement marginalisés par rapport à la société, constate que les aspirations de l’époque, expressions du sentiment qui poussait le peuple à la destruction de l’Ancien Régime et l’établissement de la démocratie et de l’égalité, étaient alors générales. Il copie deux passages de Levasseur qui lui révèlent cette réalité et cette relativité, le mouvement du peuple et de son sentiment en tant que phénomène spécifique. (…) (pag 17); Nous pensons avir déjà indiqué au passage les idées-forces que Karl Marx a dégagées de la lecture des mémoires du conventionnel de la Sarthe, revues et développées par le jeune révolutionnaire Achille Roche. Le professeur Alessandro Galante Garrone, dans son livre sur ‘Philippe Buonarroti et les révolutionnaires français du XIXe siècle’ indique à juste titre que l’importance de cette lecture a été insuffisamment considérée par les histoirens et qu’elle «mériterait une étude approfondie». Il indique que, selon lui, Marx s’est intéressé surtout aux aspects suivants: l’impuissance de l’Assemblée législative, (…) la vaste diffusion du sentiment démocratique (…), «les forces insurrectionnelles actives mises en mouvement le 10 août», (…) la nécessité de confier l’initiative aux forces populaires extra-parlamentaires et extra-gouvernamentales (…), «les graves responsabilités des Girondins qui (…) se jetèrent à droite, déclarant la guerre à la Montagne (…), «la position équivoque de Danton entre la Montagne et le Marais» (38) . Nous ne résumerions pas ainsi les centres d’intérêt de Marx qui nous paraissent résumés ici sous un angle d’«histoire historisante» alors qu’ils nous ont semblé reveler plutôt de la philosophie de l’histoire” (pag 26) [Max Robbe, ‘Le notes de Marx sur les ‘Mémoires’ de Levasseur’, Cahiers Léon Trotsky, Grenoble, n. 30 Juin 1988] [(1) René Levasseur (1747-1834), chirurgien-accoucheur au Mans, fu élu à la Convention, pour le département de la Sarthe, et membre du Club des Jacobins. Il vota la mort de Louis XVI, prononcça l’éloge d Marat le 18 décembre 1793 et fut l’auteur de la proposition d’abolition de l’esclavage. Représentant en mission aux armées, il prit part à la bataille de Hondschoote. Proscrit au 12 Germinal an III (1er avril 1795), avec les derniers Montagnards, il fut amnistié et reprit son travail au Mans. Arrété par le Prussiens et exilé en 1815, il vécut aux Pays-Bas, puis à Bruxelles. Il confia à son fils Francis des notes qu’Achille Roche eut à rédiger et à développer, en tirant quatre volumes (…). Les notes de Marx sur ce livre sont reproduites dans le Mega (K. Marx, F. Engels Gesamstausgabe, Berlin-Est, Dietz Verlag 1975 sq, avec ses notes parisiennes, «Historisch-ökonomische Studien (Pariser Hefte), vol: II, Abteilung IV, t. 2, pp. 281-298; (38) Alessandro Galante Garrone, ‘Philippe Buonarroti et les révolutionnaires du XIXe siècle’, n. 29, pp. 324-325]