“Bien qu’elle accordât une très grande importance au développement de la révolution en Europe, l’analyse de Lénine laissa le facteur extérieur en dehors des conditions objectives. Or, dans de cas de la Hongrie, la question des interventions étrangères fut peut être décisive. Telle est du mois l’opinion de Mátyás Rákosi, protagoniste de premier plan de la République des Conseils, en tant que commissaire du peuple d’abord, puis comme commandant dans l’Armée rouge hongroise (…). Rákosi conteste cependant la thèse professée après coup par les sociaux-démocrates hongrois, à savoir que la République des conseils étati condamnée à l’avance: Clausewitz n’avait-il pas énoncé que «le danger va avec la guerre», dit Rákosi en évoquant Lénine qui illustrait ce propos guerrier en citant le proverbe russe: «Celui qui a peur du loup ne doit pas aller dans la forêt». En tout cas, la primauté du facteur externe, où intervient aussi la dépendance économique, fut également affirmée après l’avortement de la révolution en Autriche par des leaders sociaux-démocrates comme Otto Bauer et Friedrich Adler. A’ l’opposé, pour Lénine, Liebknecht, Luxembourg, Trotsky, ou Radek, le facteur externe n’était pas décisif «’au moment où la situation était mûre pour la révolution’». En Russie, effectivement, une situation exceptionnelle s’était créée après l’abdication du tsar en mars 1917: le gouvernement provisoire poursuivait la guerre et réfusait de sanctionner l’expropriation des terres par le paysans, maíls il ne pouvait imposer sa volonté; des circonstances exceptionnelles donc, dont les bolcheviks ne furent pas le artisans mais qu’ils surent expoiter à fond. L’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie et l’Italie connurent elles aussi plusieurs moments entre 1918 et 1923 où les conditions objectives d’une situation révolutionnaire étaient réunies, mais partout le combat du prolétairat finit par des échecs. La comparaison avec l’action des bolcheviks est d’autant plus légitime qu’à un moment ou à un autre tous ces pays en effervescence la prenait pour exemple, posant ainsi la question des conditions subjectives de la révolution. Pour les dirigeants socialistes et communistes de l’époque, plusieurs facteurs devaient être, là aussi, pris en considération. D’abord, le soutien de la classe tout entière ou du moins la neutralité bienveillante des travailleurs et des opprimés vis-à-vis de l’avant-garde du prolètariat. Selon Lénine, «’pour que vraiment la classe tout entière, pour que vraiment les grandes masses de travailleurs et d’opprimés du capital en arrivent à une telle position, la propagande seule, l’agitation seule ne suffisent pas. Pour cela il faut que ces masses fassent leur propre expérience politique» (23). Ce processus devait être étroitement lié à l’existence d’une organisation d’avant-garde, deuxième condition subjective de la révolution; du moins pour les bolcheviks car, pour d’autres courants historiques de la pensée révolutionnaire, cela n’allait pas de soi. Il s’agissait en réalité, pour le leader du parti bolchevik, d’agir au bon moment, en fonction de l’état d’esprit et de l’attente des masses. C’est en ce sens et en se fondant sur l’expérience des révolutions russes que Trotsky expliquera: «[La] qualité fondamentale la plus précieuse [du Parti bolchevik] est son aptitude sans égale à s’orienter rapidement, à changer tactique, à renouveler son armement et à appliquer de nouvelle méthodes, en un mot à opérer des brusques virages. Les conditions historiques orageuses ont rendu cette tactique nécessaire. Le génie de Lénine lui a donné une forme supérieure. [La] force [du parti] s’est manifestée en ce que le traditionalisme, la routine étaient réduits au maximum par une initiative tactique clairvoyante, profondément révolutionnaire, à la fois hardie et réaliste» (24). Or en Europe centrale, si en Hongrie le pouvoir est tombé entre les mains des communistes comme un fruit mûr, en Allemagne et en Autriche les organisations révolutionnaires ont le plus souvent agi à contre-temps: soit que la révolution allât plus vite que les révolutionnaires, soit que l’action putschiste ou l’irrésoltuion de ces derniers se heurtât à la détermination des dirigeantes sociaux-démocrates, sûrs de leurs objectifs et possédant, en vertu del l’implantation antérieure des appareils réformistes, une influence prépondérante sur l’encadrament de la classe ouvrière; qui plus est, en Allemagne, les leaders socialiste Scheidemann et Ebert étaient liés à l’état-major d’uine armée vivier des corps francs qui écraseront deàs janvier 1919 l’insurrection spartakiste. Mais en Autriche l’armée est socialiste, «qui, junqu’en 1921, chante l”Internationale’ et défile avec un drapeau rouge; c’est donc une armée qui est une force prolétarienne considérable», sauf que pour le PSD l’unité du parti passe avant tout et, «même petite, la droite du parti freine le mouvement». En outre, le «leader théorique» Otto Bauer voit surtout «tout ce qui gêne», apeuré face à toute une série d’obstacles hypothétiques (25)” [Julien Papp, ‘De l’Autriche-Hongrie en guerre à la République hongroise des Conseils (1914-1920)’, Pantin, 2015] [(23) Cité par A.L. Donneur, op. cit., p. 82; (24) Léon Trotsky, ‘De la Révolution’, Paris, 1963, p. 59; (25) A.L. Donneur, op. cit., p. 185-187] [Lenin-Bibliographical-Materials] [LBM*]