“Karl Marx ne nous a laissé d’ouvrage historique (au sens étroit, presque universitaire du mot, car ‘Le Capital’ doit être considéré avant tout comme l’histoire du capital) que sur des événements strictemente contemporains: les révolutions de 1848 et la Commune de Paris. Il n’y a qu’une exception; elle est le fait de Friedrich Engels (que je ne pourrai pas distinguer de Marx au cours de cette étude) à qui on doit, parue en 1850, une étude sur ‘La guerre des paysans’. Mais il est tout de suite important de rappeler que Karl Marx avait eu l’intention d’écrire une histoire de la Convention. Nous avons à ce propos le témoignage d’Arnold Ruge: trois lettres successives, mais de la même époque et toutes trois de Paris, d’autant plus probantes que Ruge est alors assez critique pour Marx. 15 mai 1844, Ruge écrit à Feuerbach: « Marx veut … écrire l’histoire de la Convention; il a accumulé a cet effet la documentation nécessaire et est arrivé à des conceptions nouvelles et très fécondes. Il a abandonné de nouveau la critique de la ‘Philosophie du Droit de Hegel’ et veut utiliser son séjour à Paris pour écrire ce livre sur la Convention, ce qui est parfaitement juste». 9 juillet 1844: une nouvelle lettre de Ruge à Fleischer: «Il (Marx) projetait de faire un traité de politique qu’il n’a malheureusement pas encore rédigé. Puis il voulait écrire une histoire de la Convention et a énormément lu à cet effet. Maintenant, il paraît avoir de nouveau abandonné ce projet». 28 août 1844, Arnold Ruge écrit à Dunker: «Marx voulait critiquer le Droit naturel de Hegel du point de vue communiste puis écrire une histoire de la Convention, enfin une critique de tous les socialistes. Il veut toujours écrire sur ce qu’il a lu en dernier lieu, mais continue sans arrêt ses lectures et en fait de nouveau extraits. Je crois encore possible qu’il écrive un très grand livre, pas trop abstrait, dans lequel il fourrera tout ce qu’il a lu» (10). Effectivement, Marx est obsédé par la Convention. Dans un article sur lequel je reviendrai et qui est publié précisément aux mêmes dates que les lettres de Ruge par le’Vorwärts’ de Paris (7 et 10 août 1844), Marx dit de la Convention qu’elle «représentait le maximum d’énergie, de puissance et d’intelligence politique» (11). Mais Marx, pris par d’autres soucis, n’a pas eu le temps d’écrire cette histoire de la Convention pour laquelle, nous le verrons, il avait accumulé des matériaux” [(9) L’expression consacrée «matérialisme historique» a le grand désavantage de n’insister que sur un des aspects de la conception marxiste de l’histoire, et de faciliter ainsi une interprétation strictement déterministe et mécaniste. Mieux vaudrait parler d’une explication matérialiste et dialectique du mouvement de l’histoire; (10) Voir les rapports Ruge-Marx, E. Bottigelli: ‘Les “Annales franco-allemandes” et l’opinion française’, La Pensée, n. 110, août 1963, pp. 49-66. Nous citons les lettres de Ruge d’après la traduction d’Auguste Corni, op. cit., tome III, pp. 10-11; (11) Notes marginales sur l’article “le roi de Pruse et la réforme sociale par un Prussien”, in ‘Vorwärts’, Paris, 7 et 10 août 1844. Cet article a été traduit dans ‘Oeuvres complètes’ de Karl Marx, Ed. Costes (Oeuvres philosophiques’, t. V, 1937, pp. 213-244). Le “Prussien” en question est Arnold Ruge] [Jean Bruhat, “La révolution française et la formation de la pensée de Marx”] [(in) “La Pensée Socialiste devant la Révolution française”, Annales Historiques de la Revolution Française, Paris, n. 184, 1966]
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- Articolo pubblicato:9 Maggio 2017