“La formation philosophique d’Engels se fait par des voies bien différentes de celles de Marx. D’abord elle s’inscrit dans une activité d’autodidacte contraint à glaner par son effort personnel les éléments de sa culture. Nous devons d’ailleurs admirer cette insatiable curiosité d’esprit et cette surprenante faculté d’assimilation qui lui permettent d’accéder ainsi à une formation qu’il ne lui est pas possible d’acquérir par la voie royale de l’Université. Il faut noter ensuite que c’est l’agitation intellectuelle de son temps, l’actualité des questions soulevées qui l’amènent à l’hégélianisme. Alors que nous avons vu Marx adopter les vues de Hegel au cours d’une lutte intérieure née du besoin d’avoir une conception cohérente du monde, Engels cherche dans la philosophie de l’histoire une réponse aux problèmes que pose son époque. Il aborde Hegel, pourrait-on dire, par le biais de la politique. Il est déjà républicain, la lecture des ‘Lettres de Paris’ de Börne l’a amené à des conclusions radicales. Et il rêvera d’une alliance de Börne et de Hegel, de l’activité politique et de la conception philosophique du monde, qui est bien révélatrice de son tempérament. Si l’élaboration philosophique a peu à peu mené Marx au radicalisme politique, c’est à l’inverse le radicalisme politique d’Engels qui le conduira à la philosophie. La formation de juriste de Marx, conjuguée avec son expérience de journaliste, l’amènera à l’examen critique de la philosophie du droit, et il mettra quelque temps avant de se libérer de la conception hégélienne de l’Etat. Engels, par contre, retiendra essentiellement de l’hégélianisme la méthode dialectique qui restera un des piliers de sa pensée et fera très tôt le départ entre les deux aspects contradictoires de l’hégélianisme, le système réactionnaire et la méthode révolutionnaire” [Emile Bottigelli, ‘Genese du socialisme scientifique’, Paris, 1967]