“Mathiez paraît n’avoir pas attaché grande importance au communisme de Babeuf; il y voyait comme une adjonction, d’importance secondaire, improvisée pour la circonstance, au programme de la conspiration des Egaux, dont l’essentiel aurait été, en somme, celui des Robespierristes; en sorte que Babeuf, s’il en fut le chef et le bouc émissaire, n’en aurait pas été, au point de vue idéologique, le véritable inspirateur et, en tout cas, ne lui aurait pas conféré un caractère aussi original qu’on est habitué à la croire. Que le communisme soit demeuré indifférent à la plupart des complices de Babeuf; que les gens du peuple qui étaient disposés à le suivre, s’il avait réussi, n’en aient pas eu d’idée claire et ne l’aient pas mis au premier rang de leurs préoccupations, on peut l’admettre sans difficulté; mais qu’il fût pour Babeuf lui-même une sorte d’expédient démagogique, Mr Dommanget ne le croit pas et je ne le pense pas non plus. Mr Dommanget a bien mis en lumière les documents qui attestent que les communisme était au centre de sa pensée dès avant 1789 et ils paraissent décisifs. En tout cas, le problème étant posé, on en doit chercher la solution dans l’évolution des ses idées durant les années qui ont précédé la Terreur et l’avènement de la démocratie sociale. (…) Mais le communisme de Babeuf a-t-il pris sa source dans le seule philosophie? J’ai dit ailleurs que je ne le croyais pas et j’ai plaisir à constater que Mr Dommanget partage cette opinion. Babeuf était picard et c’est au milieu des paysans de la plaine picarde que son esprit s’est formé. (…) Sans doute, le communisme de Babeuf allait bien au delà de la réglementation; il supprimait la propriété individuelle, tandis que les paysans tendaient plutôt à donner à chacun sa part, sous réserve de restrictions imposées à la jouissance. Il n’est pas moins vrai qu’il peut apparaître comme l’expression la plus radicale de leurs voeux et comme leur “limite”. Ainsi conçu, il cesse d’étre purement “utopique” et idéologique et trouve sa racine dans la tradition communautaire de nos campagnes; il en a donné une interpretation systématique au moment où elle allait marcher rapidement vers sa disparition. Sous cette forme, Babeuf l’a léguée à l’avenir et il lui a même rendu une force de pénétration inconnue jusqu’alors, puisque, comme Mr Dommanget le remarque, sa doctrine n’était point purement agraire, mais s’appliquait aussi à l’industrie et au commerce où le socialisme moderne a précisement trouvé son domaine d’élection. Se demandant où le prolétariat avait puisé la notion d’un idéal social qu’il pût opposer à la conception individualiste qui est à la base du capitalisme, Marx a jugé qu’il l’avait trouvé dans les survivances de l’ancien régime économique et social. Si la pensée de Babeuf est née en effet de la vie même des communautés rurales où il a vécu, cette hypothèse se trouverait remarquablement confirmée. Puisse se trouver un historien pour la vérifier” [George Lefebvre, Préface] [(in] ‘Pages choisies de Babeuf recueillies, commentées, annotées avec une Introduction et una Bibliographie critique par Maurice Dommanget’, 1935]