“Après la chute de la Commune, le massacre des ouvriers parisiens, dans les formes légales et en dehors d’elles, prit de telles proportions que les dizaines de milliers de prolétaires, souvent les meilleurs et les plus travailleurs, l’élite de la classe ouvrière, furent assassinés: alors le patronat, qui avait assouvi sa soif de vengeance, fut quand même pris d’inquiétude à l’idée que le manque de “bras” en réserve risquait d’être cruellement ressenti par le capital l’industrie allait, à cette époque, après la fin de la guerre, vers une expansion importante des affaires. Aussi plusieurs entrepreneurs parisiens s’employèrent-ils auprès des tribunaux pour modérer les poursuites contre le communards et sauver le bras ouvriers du bras séculier pour les remettre au bras du capital. L’armée de réserve a une double fonction pour le capital: d’une part elle fournit la force de travail en cas d’essor soudain des affaires, d’autre part la concurrence des chômeurs exerce une pression continuelle sur les travailleurs employés et abaisse leurs salaires au minimum. Marx distingue dans l’armée de réserve quatre couches dont la fonction est différente pour le capital et dont les conditions de vie diffèrent. La couche supérieure, ce sont les ouvriers d’industrie périodiquement inemployés qui existent même dans les professions les mieux situées. Leur personnel change parce que chaque travailleur est chômeur un certain temps, puis employé pendant d’autres périodes; leur nombre varie beaucoup selon la marche des affaires; il est très important en période de crise et faible quand la conjoncture est bonne; ils ne disparaissent jamais complètement et augmentent avec le progrès de l’industrie. La deuxième couche, c’est la masse des prolètaires sans qualification affluant de la campagne vers les villes; ils se présentent sur le marché avec les exigences les plus modestes et ne sont liés à aucune branche industrielle particulière; ils sont à l’affût d’une occupation, formant un réservoir de main-d’oeuvre pour toutes les industries. La troisième catégorie, ce sont les prolétaires de bas niveau qui n’ont pas d’occupation régulière et sont sans cesse à la recherche d’un travail occasionnel. C’est là qu’on trouve les journées de travail les plus longues et les plus bas salaires et c’est pourquoi cette couche est tout aussi utile, et tout aussi directement indispensable au capital que celle du plus haut niveau. Cette couche se recrute constamment parmi les travailleurs excédentaires de l’industrie et de l’agriculture, en particulier dans l’artisanat en voie de dépérissement et les professions subalternes en voie d’extinction. Cette couche constitue le fondement de l’industrie à domicile et agit dans les coulisses, derrière la scène officielle de l’industrie. Elle n’a pas tendance à disparaître, elle croît au contraire parce que les effets de l’industrie à la ville et à la campagne vont dans ce sens et parce qu’elle a une forte natalité. Pour finir, la quatrième couche de l’armée de réserve prolétarienne, ce sont les véritables “pauvres”, qui sont en partie aptes au travail et que l’industrie ou le commerce emploient partiellement en périodes de bonnes affaires; en partie inaptes au travail: vieux travailleurs que l’industrie ne peut plus employer, veuves de prolétaires, orphelins de prolétaires, victimes estropieés et invalides de la grande industrie, de la mine, etc., enfin ceux qui ont perdu l’habitude de travailler, les vagabonds, etc. Cette couche débouche directement sur le sous-prolétariat: criminels, prostituées. Le paupérisme, dit Marx, constitue l’hôtel des invalides de la classe ouvrière et le poids mort de son armée de réserve. Son existence découle aussi inévitablement de l’armée de réserve que l’armée de réserve découle du développement de l’industrie. Le pauvreté et le sous-prolétariat font partie des conditions d’existence du capitalisme et augmentent avec lui: plus la richesse sociale, le capital en fonction et la masse d’ouvriers employés par lui sont grands, et plus est grande la couche de chômeurs en réserve, l’armée de réserve. Plus l’armée de réserve est grande par rapport à la masse de ouvriers occupés, plus est grande la couche inférieure de pauvreté, de paupérisme, de crime. La masse des travailleurs inemployés et donc non rémunérés, et avec elle la couche des Lazare (1) de la classe ouvrière – la pauvrété officielle – augmentent en même temps que le capital et la richesse. “Voilà, dit Marx, la loi générale, absolue, de l’accumulation capitaliste (2)” [Rosa Luxemburg, Introduction à l’économie politique. Oeuvres complètes – Tome I, 2009] [(1) L’expression est de K. Marx, ‘Le Capital, Oeuvres I, op.cit., p. 1162; (2) K. Marx et F. Engels, Werke, t. 23, op. cit., p. 674; K. Marx, Le Capital, Oeuvres I, op. cit, p. 1162]