“Pour en venir au fait, Tkatchov raconte aux travailleurs allemands que, pour ce qui est de la Russie, non seulement j’ai “peu de connaissances” mais encore que je ne possède que de l'”ignorance”; c’est pourquoi il se voit dans l’obligation de leur expliquer le véritable état de choses et surtout de leur énumérer toutes les raisons pour lesquelles une révolution sociale serait en ce moment un jeu d’enfant en Russie, bien plus facile qu’en Europe occidentale. (…) Donc, la tâche serait plus facile pour les travailleurs russes – qui, comme Tkatchov le dit lui-même, sont des “travailleurs agricoles et, en tant que tels, non pas des prolétaires mais des propriétaires” – parce qu’ils n’ont pas à lutter contre le pouvoir du capital, mais “seulement contre le pouvoir politique”, contre l’Etat russe. Cet Etat “ne ressemble à un pouvoir que de loin (…). Il n’a pas de racine dans la vie économique du peuple; il n’incarne les intérêts d’aucune classe sociale. Chez vous, la puissance de l’Etat n’est pas une simple apparence. L’Etat s’appuie solidement sur le capital. Il incarne en lui-même (!) certains intérêts économiques (…). Chez nous, c’est exactement le contraire: notre type de société doit son existence à l’Etat, un Etat pour ainsi dire suspendu dans l’air qui n’a rien de commun avec l’ordre social existant et dont les racines plongent dans le passé et non dans le présent”. Nous ne nous arrêtons pas à l’idée confuse selon laquelle les intérêts économiques ont besoin de l’Etat, qu’ils créent eux-mêmes pour se donner un corps, ni à cette affirmation hardie que le type de société russe auquel appartient pourtant également la propriété commune des paysans doit son existence à l’Etat; nous négligeons également l’idée, contraire à la précédente, que ce même Etat, création propre de l’ordre social existant, n’a pourtant avec lui “rien en commun”. Considérons plutôt immédiatement cet Etat “suspendu dans l’air” qui ne représente les intérêts d’aucune classe sociale. En Russie d’Europe, les paysans possèdent 105 millions de déciatines de terre, les nobles (je désigne ainsi, par souci de brièveté, les propriétaires fonciers) 100 millions dont la moitié environ est aux mains de 15 000 d’entnre eux soit 33 000 déciatines par tête en moyenne. La terre des paysans ne dépasse donc, en superficie, que de très peu la terre des nobles. Les nobles, on le voit, n’ont pas le moindre intêret à l’existence de l’Etat russe qui leur garantit la possession de la moitié du sol! Poursuivons. Les paysans payent chaque années 195 millions de roubles d’impôt foncier sur cette moitié des terres qu’ils détiennent, et les nobles… 13 millions! Les domaines des nobles sont, en moyenne, deux fois plus fertiles que ceux des paysans; la raison en est que, lors de la discussion sur le rachat des corvées, l’Etat a enlevé aux paysans non soulement la plus grande, mais encore la meilleure part des terres pour les donner aux nobles; et encore les paysans ont-ils dû payer aux nobles le prix du meilleur sol. Et la noblesse russe n’aurait aucun intérêt à l’existence de l’Etat russe!” [Friedrich Engels, La question sociale en Russie] [(in) K. Marx F. Engels, Ecrits sur le tsarisme et la Commune russe, a cura di M. Rubel, 1969] [Nota: (in) Avertissement; di M. Rubel “En février 1875, Wilhelm Liebknecht lui demanda (à  Engels) de riposter à la brochure que P.N. Tkatchov avait publiée à Zurich sous le titre ‘Lettre ouverte à M. Friedrich Engels’ (…). Tkatchov (…) entendait donner une leçon politique à son adversaire prétendument peu informé des choses russes (…)”]