“A l’oeuvre commune, Karl Marx fournit les ‘considérants’. Engels les déclare dans une lettre à Bernstein, “un chef d’oeuvre d’argumentation saisissante, explicable aux masses en peu de mots et d’une concision qui l’étonne lui-même (1)”. Par contre, le programme électoral proprement dit est établi par Guesde, l’auteur du ‘Capital’ ayant déclaré que les Français, portant la responsabilité de l’action, devaient avoir aussi celle de la rédaction. Les ‘considérants’ valent encore d’être intégralement reproduits. Ils déclarent:

“Que l’émancipation de la classe productive est celle de tous les être humains sans distinction de sexe ni de race;

“Que le producteurs ne sauraient être libres qu’autant qu’ils seront en possession des moyens de production (terre, usines, navires, banques, crédits, etc);

“Qu’il n’y a que deux formes sous lesquelles les moyens de production peuvent leur appartenir:

“1° la forme individuelle qui n’a jamais existé à l’état de fait général et qui est éliminée de plus en plus par le progrès industriel,

“2° la forme collective dont les éléments matériels et intellectuels sont constitués par le développement même de la classe capitaliste;

“Que cette appropriation collective ne peut sortir que de l’action révolutionnaire de la classe productive – ou prolétariat – organisée en parti politique distinct;

“Qu’une pareille organisation doit être poursuivie par tous les moyens dont dispose le prolétariat, y compris le suffrage universel, transformé ainsi d’instrument du duperie qu’il a été jusqu’ici, en instrument d’émancipation”.

Quant au programme électoral, il comporte des revendications politiques et économiques.

Les premières sont formulées en quatre articles:

1° abolition des restrictions aux libertés de press, de réunion, d’association de travail;

2° suppression du budget des Cultes et retour à la nation des biens des corporations religieuses;

3° armement général du peuple;

4° autonomie administrative de la commune.

Les reformes économiques sont énumérées en dix articles:

1° repos hebdomadaire et journée de huit heures, interdiction du travail des enfants, journée de six heures de 14-18 ans;

2° et 3° salaire minimum et égal pour les deux sexes

4° et 5° mise à la charge de la societé des enfants à instruire scientifiquement et techniquement, des vieillards et des invalides du travail;

6° gestion exclusivement ouvrière des caisses de secours mutuel et de prévoyance;

7° responsabilité patronale en cas d’accidents;

8° collaboration au règlement d’atelier, interdiction des pénalités pécuniaires;

9° revision des contrats ayant aliéné la propriété publique (banques, chemins de fer, mines, etc.), gestion par les travailleurs des ateliers de l’Etat:

10° abolition des impôts indirects, impôt progressif sur les revenus au-dessus de 3.000 francs, suppression de l’héritage en ligne collatérale, limitation à 20.000 francs de l’héritage en ligne directe (2).

Approuvé d’abord à Paris en juillet, par l”Union du Centre’, le texte londonien devient au Havre, en novembre 1880, la charte doctrinale du ‘Parti ouvrier français’. Comme le prolétariat allemand, à Gotha, quelques années plus tôt, les travailleurs français semblent avoir définitivement trouvé le cadre et le programme de leur action politique” [Marcel Prelot,  L’évolution politique du socialisme français, 1789-1934, 1939] [(1) Lettres inédites de Frédéric Engels (Mouvement socialiste, 1er novembre 1900); (2) Les revendications concernant les vieillards et les invalides du travail, ainsi que la suppression de l’héritage, ont été ajoutées au Congrès du Centre, Guesde s’était opposé en vain à la seconde adjonction, qu’il estimait “peu scientifique”]