“Aussi, assez vite, la tension politique remonte-t-elle, et le gouvernement devra sé preoccuper des moyens de maintenir l’ordre public sinon encore de se défendre. Il n’était plus question des agents de police municipaux, fort impopulaires, et d’ailleurs peu nombreux; ni de l’armée, qui s’était repliée hors de Paris depuis la victoire populaire du 24 février. A la préfecture, Caussidière avait improvisé une police avec des volontaires puisés parmi les combattants des barricades, les “montagnards”; avec l’écharpe rouge qui leur tenait lieu d’uniforme, ils effrayaient bien un peu le bourgeois – comme on l’a vu – mais ils firent un service d’ordre honnête et débonnaire. De toute façon, ils étaient peu nombreux, face à l’immense capitale. L’essentiel restait la garde nationale, milice citoyenne plus que jamais à l’ordre du jour, dont la Révolution devait même en principe aboutir à démocratiser encore le recrutement, mais qui devait naturellement refléter dans son esprit celui des quartiers et des classes diverses desquels elle provenait. Aussi le gouvernement jugea-t-il habile de créer une “garde nationale mobile”, qui, à la différence des compagnies normales de la garde nationale, serait permanente, et par conséquent soldée. Bien des jeunes chômeurs y affluèrent, de sorte qu’elle remplit, en même temps qu’un rôle de police, un rôle second un peu analogue à celui des Ateliers nationaux: le chômeur y était payé, soustrait à la misère, mais écarté aussi des séductions des clubs. Bien entendu la garde nationale mobile attira surtout les ouvriers les plus jeunes les moins qualifiés, et les moins conscients. Marx et Engels, bons observateurs, et toujours enclins à ériger leurs observations en théorie, élaborènt en présence de ce phénomène la notion de “lumpen-prolétariat”, “prolétariat en haillons” considéré comme distinct du prolétariat tout court, et voué à servir de réserve à la contre-révolution plutôt qu’à la Révolution. Juin devait les confirmer dans cette vue pessimiste” [Maurice Agulhon, 1848, ou l’apprentissage de la République, 1848-1852, 1973]