“Il n’en reste pas moins que le mouvement ouvrier américain s’est toujours développé avec des traits particuliers. Engels faisait, dans une lettre a Sorge, (6 janvier 1895) l’observation suivante (1): “L’Amerique est le pays le plus jeune, mais aussi le plus ancien. Vous trouverez là, à côté de meubles de France anciens, un mobilier d’invention locale, à Boston, des calèches et dans la montagne, des “stages coaches”…Le XVIIIe siécle à côté des wagons Pullman…Et, de même, vous recevez aussi toutes les défroques spirituelles d’Europe. Tout ce qui est périmé ici vit en Amérique pendant deux générations encore…Cela se produit d’un côté parce que c’est tout juste si, après le souci de la production matérielle et de l’enrichissement, en Amerique, on commence à avoir un peu de temps libre pour le développement spirituel et la préparation nécessaire; et, de l’autre, il ne est ainsi à cause du dédoublement du développement de l’Amérique absorbée par la solution de son probléme primordial, par le défrichement d’immenses espaces de terres vierges et obligés dès maintenant de soutenir le combat pour la première place dans la production industrielle. De là ces “ups and downs” (flux et reflux) dans le mouvement, selon que l’avantage est pris par la raison de l’ouvrier industriel ou par celle du paysan qui défriche les terres viérges”. Ces traits particuliers du mouvement ouvrier américain s’expliquent historiquement fort bien.” (1) Extrait des “Briefe und Auszuge aus Briefen von Joh. Phil. Becker, Jos. Dietzen, Friedrich Engels, Karl Marx u.a. an F.A. Sorge und andere”, Stuttgart, 1906. Le premier volume de cette correspondance (1867-1883) vient d’être traduit en français dans le “Oeuvres complètes de F. Engels” (Editions Alfred Costes, 1950). Sorge (1828-1896) était un socialiste allemand qui avait pri part au soulèvement de Bade, en 1849. Après la défaite de l’insurrection il émigra aux Etats-Unis. Il fut le correspondant de Karl Marx et de Friedrich Engels [Jean Bruhat, ‘Les origines du mouvement ouvrier aux Etats-Unis’, in Cahiers Internationaux, Revue internationale du monde du travail, N° 15, Avril 1950, pag 43-49]