“D’une portée beaucoup plus décisive furent les vues que Marx exprima dans deux lettres à W. Liebknecht à la demande de celui-ci. (Rendues publiques sous anonymat, elles trouveront un écho dans un discours fait par Liebknecht devant le Reichstag). En voici quelques extraits: “…Nous …prenons résolument parti en faveur de la Turquie pour deux raisons: 1. Parce que nous avons étudié le ‘paysan turc’ – donc la masse populaire turque – et l’avons ainsi connu et compris comme étant absolument un des ‘représentants les plus capables et le plus moraux de la paysannerie en Europe’. 2. Parce que la ‘défaite’ des Russes aurait fortement ‘accéléré en Russie la révolution sociale’ dont les éléments y existent massivement, et que ‘de ce fait c’eût été le bouleversement dans toute l’Europe’. Les choses ont pris une autre tournure. Pourquoi? Par suite de la ‘trahison de l’Angleterre et de l’Autriche'”. Suivent des détails sur cette double “trahison”, puis: “Enfin – et c’est là la principale cause de leur défaite finale – ‘les Turcs on négligé de faire une révolution’ a Constantinople (…)”. La Russie devait son succès à Bismarck, inspirateur du pacte des Trois Empereurs (juin 1873): “La conséquence, c’est simplement la ‘dissolution de l’Autriche’, qui est inévitable si les conditions de paix russes sont acceptées et qu’ainsi la Turquie (tout au moins en Europe) n’aura plus qu’une existence formelle. La Turquie était le ‘bastion de l’Autriche contre la Russie’ et sa suite slave” (…). “Mais la Prusse comme telle – donc dans son opposition spécifique à l’Allemagne – a encore d’autre intérêts: la Prusse en tant que telle, ‘c’est la dynastie; ce qu’elle est, elle l’est devenue et elle continue à l’être sous la “caution” russe. La défaite de la Russie, la révolution en Russie – ce serait le glas de la Prusse”. Après sa victoire sur la France, la Prusse était devenue la première puissance militaire d’Europe et avait de ce fait, vis-à-vis de la Russie, une position de force autrement importante qu’en 1815. D’où la politique des “grandes hommes” tels que Bismarck, Moltke, etc, qui ne peuvent rester indifférents au sort du tsarisme. “Mais toute cette histoire a encore d’autres côtés. La ‘Turquie’ et l”Autriche’ étaient le dernier bastion du vieil ordre européen d’Etats qui fut rafistolé de nouveau en 1815; avec ‘leur’ ruine, cet ordre s’effondrera complètement. Le Krach – qui s’accomplira dans une série de guerres (“localisées” et finalement “universelles”) – précipite le ‘crise sociale’, et avec elle le ‘déclin’ de tous ces shampowers (traîneurs de sabre) aux airs de matamores”. Dans sa seconde lettre (du 11 février 1878), Marx traite des effets de la guerre russo-turque sur la politique des deux grands partis britanniques, d’une part, et sur la classe ouvrière anglaise, d’autre part (…)” (pag 24-25) [Maximilien Rubel, ‘Marx penseur du politique’ (in) Economies et sociétés, Série S, ‘Etudes de Marxologie’, Cahiers de l’ISMEA, n° 26, 1987]