“[Marx] allait franchir cette étape du démocratisme social au communisme dans ses articles des ‘Annales franco-allemandes’ qui parurent à la fin de février 1844, à Paris. Dans son premier article, «La question juive», qu’il écrivit en été 1843, immédiatement après sa critique de la Philosophie hégélienne du Droit, il reprenait les idées fondamentales de cette critique, montrant qu’à la société bourgeoise, où l’homme mène la vie d’un individu isolé et égoïste, s’oppose l’Etat politique où il vit d’une manière illusoire une vie collective, opposition qui se traduit par la différenciation entre le bourgeois et le citoyen. Il se fondait sur cette opposition pour souligner l’insuffisance de l’émancipation politique qui se contente de modifier la forme de l’Etat sans transformer la société et opposait à cette émancipation, l’émancipation totale, l’émancipation humaine, impliquant l’abolition et de la société bourgeoise et de l’Etat politique et qui ne pouvait résulter, pensait-il, que de la suppression radicale de la propriété privée. Dans son second article: «Introduction à la Critique de la Philosophie du Droit de Hegel», écrit à Paris à la fin de l’année 1843, sous l’influence de la lutte de classe du prolétariat français, à laquelle il commençait à prendre une part active et de l’extraordinaire développement des doctrines socialistes et communistes, il se débarrassait des derniers restes d’idéologie jeune hégélienne et faisait un pas décisif dans la voie du matérialisme historique et du communisme scientifique. De même que dans ‘La question juive’ il avait exposé les conclusions qui se dégageaient de sa ‘Critique de la Philosophie du Droit de Hegel’, il développait, dans cet article, la conclusion de ‘La question juive’, à savoir la nécessité de supprimer la proprieté privée pour transformer la société, suppression, pensait-il maintenant, qui ne pourrait être que l’oeuvre d’une révolution prolétarienne. Il montrait que, du fait de l’état arriéré de l’Allemagne, l’émancipation ne pourrait s’y faire que par la ‘Critique de la Philosophie du Droit de Hegel’, qui avait placé au point de vue idéologique ce pays au même niveau que l’Angleterre et la France. Critiquer cette Philosophie équivalait, de ce fait, à critiquer l’organisation politique et sociale des pays les plus avancés. Cette critique devait rester, au demeurant, inefficace, si elle ne trouvait pas un appui dans les masses, en particulier dans le prolétariat, classe exclue de la propriété privée et par là même seule capable de l’abolir radicalement et avec elle la société bourgeoisie. Cette classe, disait Marx, serait appuyée dans son action par les penseurs révolutionnaires et le communisme, qui devait émanciper l’humanité, naîtrait d’une révolution sociale, oeuvre de leur action conjuguée. Par le rôle prépondérant attribué maintenant à la lutte de classes et à la révolution sociale dans le développement de l’histoire, cet article marquait une étape importante dans l’élaboration du matérialisme historique. Pour arriver à une conception à la fois plus concrête et plus exacte du prolétariat, de la lutte de classes et du communisme il lui restait encore à procéder à une analyse approfondie de la société bourgeoise et de son fondement, le système capitaliste. Il devait y être aidé par un article d’Engels: «Esquisse d’une Critique de l’Economie politique» paru dans la même revue et par un article de Hess «Sur l’essence de l’argent», destiné à celle-ci” [Auguste Cornu, ‘Karl Marx et Friedrich Engels. Leur vie et leur oeuvres. Tome second’, Paris, 1958]