“Mais la connaissance stratégique ne signifie pas seulement se soustraire à l’influence des forces de la classe dominante; cela signifie identifier leurs tendances de mouvement, pour comprendre et exploiter les contradictions de la ligne de front adverse. Une deuxième filière du matériel de 1968 a cette finalité: Cervetto cherche chez Marx et Engels les fondements de leur stratégie, dans la conception et l’emploi de la politique de l’équilibre. L’examen de la politique de puissance au cours du XIXe siècle européen mené par Pierre Renouvin en est le préalable. Les révolutions de 1848 ébranlent les équilibres entérinés au congrès de Vienne en 1815: “Ni la Russie, ni le Royaume-Uni, ni la France ne désiraient l’écroulement de l’Empire autrichien, dont les conséquences pour l’équilibre européen auraient été incalculables” (Pierre Renouvin, Histoire des relations internationales, 1947-1960). Cervetto note: “Donc ils n’appuient pas la Hongrie”. Voilà donc “una des raisons pour lesquelles le mouvement hongrois échoue, tandis qu’avance le mouvement italien”, sur lequel se greffe la concurrence entre la France et le Royaume Uni. Sur la Hongrie, à la difference de l’Italie, il y a une convergence entre les puissances du “concert” européen, le Yalta de l’époque. La France craint que l’effondrement autrichien n’ouvre la voie danubienne à la Russie; en contre l’Autriche sans la Hongrie serait absorbée par l’Allemagne. Le Royaume-Uni craint l’effondrement de Vienne pour le mêmes raisons. La Russie veut que l’Autriche reste un contrepoids à la Prusse, et veut éviter qu’un succès  hongrois n’encourage la Pologne. En quelques lignes, l’intuition scientifique de Cervetto se révèle, avec deux points d’interrogation qui signalent que le concept est élaboré ici pour la première fois: “Note: pouvons-nous dire que le cours des révolutions bourgeoises (et pourquoi pas, des révolutions prolétariennes aussi?), comme celles de 1848, dépend des contrepoids des puissances??” (1). Dans les années à venir, Cervetto précisera la question en concluant que la stratégie révolutionnaire se base sur l’étude marxiste des relations internationales, et que la brèche pour l’action de classe est ouverte par l’impossibilité pour l’impérialisme de maintenir l’équilibre dans les relations entre les puissances. La faille dans laquelle peut s’insérer la stratégie révolutionnaire réside dans la crisi de l’équilibre, dans la “rupture de l’ordre”, lorsque le développement inégal conduit les vieilles et les nouvelles puissances à s’affronter dans la guerre, où les nouveux rapports de force et les nouveaux partage sont mis à l’épreuve” [Guido La Barbera, Lotta comunista. Le groupe d’origine, 1943-1952, Editions Science Marxiste, 2012] ((1) A. Cervetto, notes manuscrites dans “Impérialisme russe et Europe centrale et balkanique”, 1968. Notes sur P. Renouvin, Storia della politica mondiale (trad. italienne de ‘Histoire des relations internationales’, 1947-1960))